vendredi 23 mars 2007

Week-end en Alsace

7 décembre 2006

J'étais en Alsace pour affaires, et j'ai voulu aller chez Husser parce qu'il est un des plus excitants contributeurs du très beau livre "l'atelier d'Alain Senderens". Après son passage chez Haeberlin justement, le jeune Husser des années 80 est allé trainer ses guêtres dans l'Archestrate de Senderens des années 80, l'avant Lucas Carton, et avec Passard, Sottha Khunn (une critique récente) et quelques autres. Il faut l'entendre parler de cette époque, de l'excitation d'un renouvellement de la cuisine dans une salle de 30 couverts, où on peut tenter ce qu'on ne peut pas faire quand on a cent couverts, donc même chez Lucas Carton. La salade de homard truffée, m'a-t-il dit, passait une minute au four, y compris la salade, pour que les arômes de truffe diffusent et que la salade tombe un peu mais à peine.

Husser cherche le milieu entre une vénérable tradition alsacienne et cette excitation de la création et de l'explosion de saveurs. Car l'explosion de saveur n'est pas, il me semble, le propre de la cuisine alsacienne, de ses Backeoffe et patés en croute. Elle serait plus dans la caresse, le ouaté, la douceur. Or justement, Kerstin a pris le menu tradition: paté en croûte, matelotte, choucroute, vacherin. Un peu sceptique, je me suis porté vers des plats que j'attendais plus intenses et plus simples.

Le pâté en croûte est sans doute un des meilleurs qu'on puisse avoir, meilleur à mon avis que n'était celui de Ducloux à Tournus. Ca reste Néanmoins de la viande froide dans de la pâte brisée, et le plus excitant, à mon avis, c'est la gelée et les crudités ciselés qui accompagnent le monument dans l'assiette carrée, un arc de triomphe à plat, farci.

Pendant ce temps, dans mon assiette, un carpaccio de St Jacques posé sur un tartare d'huitres, posé sur une fîne pâte feuilletée, posée sur quelques feuilles de mâche, tout ça pour servir de support à du caviar d'aquitaine qui est en fait la star du plat. Les huîtres renforcent l'iode du caviar, la St Jacques sa douceur, apportant aussi du moelleux en bouche, servant la durée. La mâche amène un contrpoint terrien à ce plat de terre subtil et évident. La fine pâte feuilleté était-elle utile? Je comprends l'intérêt du croustillant, et même celui du beurre, mais je ne suis pas sûr que c'était indispensable. Mon idée: si on veut garder la pâte feuilletée, pourquoi ne pas faire des bouchées, des petits ronds de pâte avec la même composition.? Là la pâte aurait une fonction, celle de rendre les bouchées cohérentes, et le contrôle sur l'équilibre de chaque bouchée serait total, plus que l'in ne l'est avec cette composition difficleà partager.

La matelote est constituée par un délicieuse sauce à base de fumets de poisson, de champignons et de vins blancs, crêmée délicatement, légère et parfumée. Elle contient les trois poissons obligatoires: sandre, anguille, brochet (En quenelle pour ce dernier), auxquelles viennet s'ajoutre un peu de truite et un ravioli d'écrevisse phénoménal. Tout est bon et très bien cuit, séparément bien entendu, et plutôt rôti que bouilli. En fait, c'est trop. Un seul de ces poissons, sur ce fond de sauce, avec quelques champignons, la ravioli en plus, et un peu plus de ce goût, ferait un plat intésement bon, sans plus de surprise.

Que faisait Juju pendant ce temps? Il s'adonnait à un de ces vices favoris, que je ne vais pas nommer mais décrire: Un risotto de cèpes classique mais efficace est mis sous un dôme de pâte frite. Par dessus, un oeuf poché et, râpé entre le nez et l'assiette, quelques grammes de truffe blanche (elle est facturée en effet au grame, en supplément du plat lui-même (5€ le gramme, à peine plus cher que le prix de détail). A mon avis, il faut saler assez abondamment. C'est délicieux, ça explose en effet en bouche, avec d'abord le parfum de la truffe blanche, ce sentiment de fondu, de saveur terrienne, qui surtout sublime l'oeuf et le riz, leur donne une profondeur et une durée, une subtilité, une complexité.

La "choucroute": il y en a bien deux cuillères à soupe, de choucroute. Dessus, du cochon de lait dans tous ses états, plutôt rotii que bouillli: quenelle de foie, tranche de poitrine croustillante et moelleuse, délicieux boudin, j'en oublie, et un peu de foie gras fumé, légèrement surcuit hélas. Un jus de cochon joyeux ceinture cette petit bande, mais il n'y en a pas beaucoup. Là encore, l'impression que la peur de manquer et la difficulté de choisir font passer le plat à côté du vrai triomphe: un seul de ces morceaux de cochon goûtu et parfaitement cuits, un lit de choucroute. Il manquerait peut-être quelque chose, mais je ne le parierai pas.

Pour moi, le pied de cochon farci, cuit 9h, avec un petit chapeau en shiitake (tu sais, les champignons chinois) et des légumes confits: carotte, artichaut, et aussi trois grosses frites de panisse, croustillantes et légères. Un jus corsé et abondant lie le tout. Le plat est une ode à la gélatine, et j'ai saucé l'assiette avec les doigts. A la sortie, le chef est d'accord avec moi: "j'adore". Comme quoi, le secret de la commande dans les restaus est toujours le même: donnez-moi ce que le chef aime, comme il l'aime.

Au passage, le chef me donne l'adresse d'un restaurent près d'Alba qu'il recommande. Le dessert était un vacherin classique, délicieux, léger: crème vanille, meringue, et des sorbets aux différents parfums incrustés dedans. Les mignardises, macarons, tartes tatins, éclairs, aussi très bons, presque meilleurs.

Au total quoi? Une institution, très sûre d'elle, sans fausse note, et sans ignorance de ce qui s'est passé dans la gastronomie depuis 30 ans. Une maison accueillante aussi. En fait, ca rappelle Rostang, sauf qu'on n'a pas l'impression d'avoir trop mangé à la fin -- on peut finir le repas. Mais est-ce que c'est vraiment mieux? Il y a ce sentiment d'absence de prise de risque, de parfaîte maîtrise de quelqu'un qui est loin de ses limites. Une addition raisonnable, en-dessous de 300 eur pour ce repas avec cinq verres de vin différents.

Le lendemain, on s'invite à trois à Obernai, au Bistrot des Saveurs (une critique). Le contraire en somme: une prise de risque forte, une carte agressive et audacieuse, et une démonstration de saveurs. De la truffe blanche et de la noire, une entrée de simples carottes, une autre de betteraves, une troisième de pain rôti et truffes. Des ormeaux, assez rares pour être soulignés. Des viandes et des poissons (et du pain) cuits dans la cheminée: sole et côte de veau pour nous. Des fromages uniquement alsaciens et inconnus, servis avec une salade mélangée croquante et intense. Et de simples éclairs. préparés à la commande, en guise de desserts classiques, et les autres desserts à base de courges, d'endives. Mais toutes les saveurs sont franches et puissantes. La carte des vins est pleine de splendides raretés pas trop chères.

Et malheureusement l'impression que l'ambition visible des patrons, et peut-être de la patronne en particulier, qui dirige la salle, laisse peu de place à la joie et à la convivialité. Ainsi l'assiette de gnocchis, jus de viande, saucisson et vieux Bergkäse arrive-t-elle sans trace des cinq grammes de truffe blanche choisis. On se dit qu'ils vont venir la râper sous nos narines ébahies, il n'en est rien. On avise la patronne, qui n'a pas vraiment l'air surpris, emmène l'assiette. Après coup, je soupçonne qu'ils essayent ça systématiquement avec les allemands et les suisses, qui payent sans discuter et qui ne font pas la différence. Quarante euros pour une assiette de gnocchis, c'est quand même un peu exagéré.

Elle ramène l'assiette dûment truffée... après cinq minutes, et avec la nostalgie des effluves de truffe blache restée en cuisine. Mais ensuite que c'est bon, que c'est bon, que c'est bon: le gnocchi moelleux, le fromage fondu, le fumé salé du saucisson, la douceur du jus de veau, l'enivrante truffe prolongée par une petite émulsion. Maman, pourquoi manger auter chose? L'assaisonnement, cette fois, n'est pas timide.

Autre faux pas: la sublime côte de veau, à la fois tendre et claire mais goutue, de lait mais un peu gras arrive littéralement saignante, soit-disant "rosée". J'en fais la remarque, le serveur me répond qu'elle est parfaite, qu'ils ont vérifié la température à coeur. Je monte à ses yeux la viande crue et froide sur l'os, il me dit que oui, peut-être ça n'a pas atteint l'os. Agacement. Alors que la viande est accompagnée d'une purée onctueuse mais pas robuchonienne(plus de patates que de beurre, malgré tout), parfumée aux mousserons, et d'un de ces jus de veaux qui, là encore, te font te demander pourquoi chercher plus loin. Et que même crue, elle est bonne. Ils s'y sont mis à trois pour couper la côte. J'ai dû expliquer au troisième comment on faisait.

En partant, la patronne ne nous dit pas au revoir. Parce que nous avons déjà payé (300€ à trois, une bouteille de Tokay macération 2002 et trois verres de vin) ? Quel dommage qu'une assiette et des vins aussi formidables, généreux, engagés, contrastent avec une équipe de salle qui semble ne s'intéresser qu'à mon portefeuille et ne considérer ma passion que sous cet angle...

L'endroit est superbe. Une vielle maison chaleureuse, de belles proportions, simple mais raffiné. Carreaux traditionnels et poutres apparentes. Des nounours font une bonne part de la décoration, la salle à l'étage est vraiment comme chez soi. Pleins de belles choses sur les tables, de surprises comme ces éprouvette avec des jeunes pousses de carotte, de chou, de romarin...

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