vendredi 23 mars 2007

Tante Jeanne, in memoriam

19 juin 2005

Tante Jeanne a fermé.

En mangeant chez Tante Jeanne (Jérôme Bonnet, chef des cuisines), j'avais eu l’heureuse impression de retrouver les sensation propres à la cuisine de Bernard Loiseau : loin des modes, une cuisine effectivement légère et savoureuse. Deux ou trois saveurs par assiette, tranchée, des produits exceptionnels et surtout très très frais, qui explosent en bouche, qui y durent ; une cuisine qui révèle la complexité d’un arôme supposément simple.

Ainsi de ce dessert : des gariguettes, brillantes de fraîcheur, justes tranchées. Sans doute pour compenser la légère acidité des premières fraises, elles sont posées sur un riz au lait, fondant simple, peu sucré et pas crémé, mais cuit comme il faut : pas un de ces risottos sucrés au grains croquants, mais une pure douceur régressive. Pour faire contrepoint en saveur (acide) et consistance (croquante), l’astuce consiste en des lamelles de rhubarbe séchées et à peine caramélisées. Le premier contact est ainsi craquant et légèrement acide, mais il est immédiatement apaisé par la douceur du riz au lait, et cette conjonction permet au juteux de la fraise de s’exprimer, de se développer, et d’envahir le palais, puis le nez. Le parfait dispositif est renforcé par un sorbet à la Loiseau : une grosse quenelle, onctueuse mais pas liquide, en fait quasiment un jus de fruit turbiné, à peine sucré. De cette façon, on ajoute au moelleux initial, l’excitation par le froid, le développement de la fraise en bouche. Il y en a plusieurs vagues.

Avant, il y avait un autre de ces plats lumineux de simplicité : des morilles et des coquillages en ragoût. Des morilles sautées, des St Jacques poêlées, des bigorneaux, petites crevettes grises, moules, coques, et je ne sais quoi, tous décortiqués. Le tout dans une assiette-bol, dans un mélange de jus de coquillage et de jus de morille, évidemment concentrés. L’assaisonnement est bien sur également à la Loiseau : brutal, salé, précis, il fait se répandre l’iode et le sous-bois sans les écraser.

Encore avant, il y avait un plat de légumes crus et cuits. La feuille de salade est simplement exemplaire, les tranches de radis brillent et sont translucides en même temps, les sauces sont à base de purée de courgettes, et de pistache.. ; c’est un plat de légumes de printemps qui est très « sur le fruit ». En guise de mise en bouche, un tartare de jambon cru au pistou était une promesse de saveurs fortes, maitrisées et surprenantes, qui a été tenue, en somme.

Bon, le chef ne s’appelle pas Bernard Loiseau, mais il en a retenu ce que tant d’autres ont oublié : une cuisine à la fois raffinée et brutale, qui ne cesse jamais de surprendre sous ses dehors conservateurs.

Aucun commentaire: