vendredi 25 janvier 2008

Grainer, grands vins et très belle maison au fin fond de l'Allemagne



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Vous l’aviez peut-être perçu suite à mon post sur Acquarello : l’été dernier, je n’attendais plus grand’chose de la haute gastronomie bavaroise. Mais ce week-end d’Août, j’ai dîné chez Christian Grainer à Kirchdorf. C’est une très grosse, très vieille maison en face de l’église, dans un village rural 70km à l’Est de Munich. La campagne par là ne ressemble pas du tout à celle du Sud de Munich, au pied des alpes. C’est une campagne agricole, pas touristique – on s’en rendait bien compte ce weekend avec les effluves d’épandage.
Les Grainer sont aubergistes dans cette même maison, depuis cinq cent ans. Et en effet tout dans cette maison parle de grand âge : les portrait de Louis II, les crânes de cerfs, les très vieux meubles, et surtout les très vieilles bouteilles de grands vins français d’une cave extraordinaire. L’épaisseur des murs et les proportions des pièves témoignent aussi de l’âge respectable de la bâtisse. Il n’y a que deux toutes petites salles à manger, trois ou quatre tables chacune. On se croirait dans le film de Visconti, à attendre dans le relais de chasse l’annonce de la mort mystérieuse du roi. Le château de Neuschwanstein ne sera jamais achevé.

Christian Grainer a été formé chez Alain Chapel. Au mur, il y a encore le dernier menu qu’il servit à Mionnay. Il a travaillé aussi à Bareiss, qui vient de recevoir une troisième étoile, et il est revenu au bercail en 1991 pour reprendre l’auguste maison familiale. Sa cuisine n’est pas spécialement bavaroise, certains ingrédients le sont. Des recettes françaises classiques, allégées et épurées, reposent sur des ingrédients de grande qualité. On sent qu’il y a quelqu’un en cuisine, un gars qui vérifie bien chaque assiette avant d’envoyer. Ça paraît banal peut-être, ça n’est pas si courant en fait.

La modernité de l’endroit (s’il en faut une), c’est que, comme à L'Astrance, il n’y a pas de carte. Vous n’avez ni le choix ni la connaissance de ce qu’on va vous servir. Votre latitude, c’est de préciser vos goûts et allergies éventuelles, et de dire combien de plats vous voulez : 3, 4, 5 ou 6, c’est la géométrie variable. On peut aussi demander le maxi menu (quand on veut seulement trois plats mais beaucoup manger par exemple).


Mais pour les vins, là, vous avez le choix. Et quel choix ! Nous, on a pris un Vosne Romanée Pasquer Desvignes 1961, embouteillé au Danemarkl, pour 99eur. La carte des vins inclut toutes sortes de trésors comme un Pétrus 1994 pour 950eur, un La Tache 1995 pour 890eur, ou un Mathusalem (6 l) de Richebourg 1979 pour 7500eur. Bien sûr, pour l’accord avec le menu surprise, il faut s’en remettre à la maison… ou s’en moquer, avec des vins pareils. Un délicieux Riesling de le Moselle et une Prosecco à l’apéritif témoignent à quel point on peut leur faire confiance pour choisir des vins.

La Vosne-Romanée, donc, a le même âge que la troisième femme de mon père, et elle est encore plus instable et complexe. On laisse la bouteille dans la cave entre deux verres, pour que la température ambiante n’attaque pas ce vin fragile et délicat. Au début, c’est très anodin – un peu comme un très jeune Volnay. Ensuite il y aun explosion de truffe. Et puis dix minutes plus tard, des tanins puissants. Au cours du repas, des saveurs et des senteurs de marrons glacés, de cerise, de confit, de cuir, de viande rôtie traversent ce vin improbable, cette grande parade. Au bout de deux heures, l’honorable bouteille est épuisée, elle ne contient plus que du vieux vin. Mais quelle fiesta ça aura été ! Et puis l’accord avec les deux plats de poisson et la caille rôtie était très bien.

En parlant de ça, des mises en bouche : une grande assiette de mousse de poisson, terrine de girolles et des dés de pomme, qui révèlent à leur tour le caractère sucré du poisson. Du beurre mais aussi du fromage frais et de la tapenade pour nos tartines. Et puis encore une démonstration que le poisson peut être une douceur avec un omble servi avec des tomates et des betteraves, de la mâche et une écume d’huile de truffe. Le poisson est parfaitement cuit, brillant et même fondant. On dirait un peu du saumon sauvage. Le goût de truffe est intense mais bien maîtrisé et le jeu entre la tomate crue et le poisson gras est la partie la plus intéressante.

Une formidable caille rôtie suivait, désossée et farcie au foie gras et aux lentilles. C’est pas de l’innovation, mais c’est quand même de la haute gastronomie, chair tendre et juteuse, peau croustillante, et le caractère terrien des lentilles, à peine adouci par le foie. En fait, la lentille, c’est la truffe du pauvre, et ce plat le démontrait bien. Il y avait un mignon œuf de caille sur le dessus, dont le jaune était peut-être utile pour capturer ces arômes. Mignon en tout cas. Un plat bien carré, servi dans une assiette qui ne l’est pas moins.

C’est pas un repas si il n’y a pas de soupe, hein ? Celle-là, c’était du homard de Bretagne dans une délicieuse soupe de homard toute robuchonienne (c’est-à-dire passée autant de fois qu’il le faut et montée au beurre pour une onctuosité parfaite qui met en avant les saveurs). « Un peu plus ? » nous proposent-ils. Tu parles, Charles, bien sûr qu’on en reveut.

Et ensuite un plat de lièvre. En Allemagne, on ne rigole pas avec le gibier. Il y en a toute l’année, de différentes sortes, et parfois avec des parcs à cerfs. C’était un plat de Noël, avec des épices dominées par la cannelle, une rosace de pommes de terres prétentieusement (et inexactement) appelées « Maxime », des dés de pommes, du chou rouge, des cèpes, et une écume de morilles sur le dessus. Le lièvre était juste un peu rassis, pas au point de devenir déplaisant, et l’harmonie avec tous les éléments de l’assiette était frappante.


Et là encore, on nous en propose une deuxième assiette, cette fois avec de la purée qui compense bien la légère surcuisson du lièvre qui a attendu au chaud. Là encore, l’attention portée à chaque assiette est magnifique.

Vous aimez une coupe de champagne avec votre salade de fruits et un peu de sorbet de fleur de sureau ? Ne vous fatiguez plus, Grainer a versé la salade de fruit et mis la glace dans la coupe de champagne. C’est aussi bon et ça fait moins de vaisselle. C’est un agréable pré-dessert, et je découvre ) cette occasion la coutum d’échanger café et fromage : on nous sert le café avant ou avec le dessert, on nous propose le fromage après.

Le dessert, c’était un riz au lait avec des fruits exotiques, construits comme une espèce de Babel gastronomique : sur une galette de riz et de coco, un disque de riz au lait à la vanille, roulé dans la noix de coco, sur le dessus une quenelle de sorbet passion-mangue (hélas trop petite pour durer tout le plat), le tout comme emprisonné par une grande spirale en biscuit. C’est léger, sans crème ni sucre ou presque, et c’est un bel équilibre de textures. Ça concluait parfaitement ce repas très très appréciable dans ce restaurant qui est vraiment la maison de quelqu’un. 280 eur pour ce dîner pour deux, boissons comprise.