vendredi 23 mars 2007

Pourquoi s'occuper tant des causes du réchauffement climatique?

Pourquoi est-ce que la discussion sur le réchauffement climatique se concentre toujours sur la seule question de savoir ce qu'il faut faire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre? Si j'ai bien compris ce que j'ai lu, il est vraisemblable que, même en arrêtant maintenant ce qu'on peut arrêter, on aurait de toute daçon des dizaines d'années de réchauffement significatif devant nous.

Il me semble donc que, dans ce cadre, la question la plus urgente ne devrait pas être de stopper les causes, mais de s'occuper des effets.

Outre l'ouverture de nouvelle routes maritimes, on peut s'attendre à des immersions de zones côtières, à des modifications de fertilité importantes, des régions fertiles devenant désertiques, des régions forestières plus facilement cultivables.

En conséquence, il est vraisemblable que de très forts mouvements de migration sont à attendre. Et aussi des conséquences importants sur l'approvisionnement en eau douce, par exemple, qui est pourtant déjé problématique sans cela.

Alors pourquoi nous concentrons-nous avec tant de passions sur les causes d'une catastrophe annoncée et inévitable? Y aurait-il quelque jouissance à n'envisager les problèmes graves que sous l'angle de la mauvaise conscience et de la désignation des coupables?

Atouts de Bayrou

15 mars 2007

1. Une proposition crédible de changement.

Dire que le projet Bayrou est creux ou vague semble signifier essentiellement qu'il n'y a pas un parti pour le mettre en œuvre. Mais on ne peut pas dire que ça ne repose sur rien, quand seul il est le seul à oser annoncer la couleur quant à la dette et à promettre de réformer l'état, quand, face à la désintégration sociale, son approche politique même remet les bonnes volontés au cœur du système, ou bien quand il fait de l'éducation nationale, non pas une priorité parmi d'autres, une priorité rhétorique, mais la seule priorité budgétaire, le seul poste échappant à l'allègement.

La force du projet de Bayrou et d'identifier la crise actuelle et de proposer des pistes pour en sortir qui sont crédibles et qui, en tous cas, n'ont pas été tentées. Mais j'en reparlerai.

2. Le refus du partisanisme

Le refus du système des partis est un élément essentiel qui rend ce projet crédible.Il ne serait pas possible de croire à une promesse d'interdiction du déficit de fonctionnement venant du PS et de l'UMP, qui sont pris dans des logiques partisanes, claniques et politiques rigides.Le refus des logiques partisanes, et en somme des logiques de conflit, est une caractéristique de la candidature Bayrou. Il ne s'agit pas d'un projet "ni droite ni gauche", (ce qui veut le plus souvent dire d'extrême droite), mais d'un projet d'union, comme on l'a beaucoup dit. Ceux qui nous disent que ça ne marche pas n'ont jamais voulu l'essayer.

Et pourtant, dans ce pays en crise, en déclin économique, qui n'investit plus dans sa recherche et son enseignement, dont la société est en voie de désintégration avec plus de cinq millions d'exclus, ou plus de 20% des élèves ne savent pas lire en sixième, et dont les seuls intérêts de la dette absorbent plus que l'impôt sur le revenu, est-il vraiment raisonnable, et utile, de continuer à considérer comme indépassables les oppositions droite et gauche, économie et social, jeunes et vieux, immigrés et identité nationales, profs et élèves, fonctionnaires et travailleurs du secteur privé, riches et pauvres, banlieues et centre ville, bobos et France d'en bas, Vel Satis et 607?

Strauss-Kahn a bien raison de dire qu'on ne parle pas des vrais problèmes dans cette campagne, et que ça explique le succès de Bayrou. Ce faisant, il reconnaît implicitement que Bayrou aborde ces vrais problèmes, et qu'il est récompensé pour ça.

Sur ces questions fondamentales de la dette, de la désintégration sociale, et de l'absence d'investissement dans l'avenir, qui n'est pas d'accord?Le fossé entre Strauss-Kahn et Borloo est-il plus apparent qu'entre Strauss-Kahn et Emmanuelli? (Pour ne parler que des bons vivants).

Il est d'ailleurs frappant à cet égard, qu'on continue à sur-interpréter les déclarations et les écrits des uns et des autres pour les ramener à des positions partisanes. Strauss-Kahn dit qu'il refuse d'envisager l'hypothèse de Bayrou président, et on dit qu'il refuse de s'allier avec lui. Alors qu'il l'a appelé à former "une belle majorité pour faire battre Nicolas Sarkozy". Joffrin écrit que Bayrou, c'est le saut dans l'inconnu, la page blanche, peut-être ce que les français veulent, et on dit qu'il est hostile à Bayrou.

Partout, tout se passe comme si on refusait de faire abstraction une minute de ces dichotomies incontournables. Combien entend-on de témoignages comme celui de ce monsieur sur le quai de gare qui nous expliquait que "Bayrou, il a toujours été du côté des patrons".

On vient tous de quelque part. Sarkozy, c'est Pasqua le mafieux et Chirac le traitre. Ségo, c'est Mitterrand l'économiquement incompétent (ce que je trouve mieux, mais tout le monde n'est pas de mon avis).

3. Le positionnement politique... "iconoclaste"

Imaginons Bayrou élu. Quelles sont ses chances d'être réélu? Arrêtez de rire! Il n'aura pas un parti derrière lui. Ca lui coupe la possibilité qu'ont habituellement les autres: élus sur un programme, ils mettent leur bande au pouvoir, et gouvernent selon la ligne de moindre résistance avec les prochaines élections dans le viseur. C'est pas pour leur jeter la pierre: c'est la logique du système même. Mais c'est quand même pour ça que, en toute logique, la dette, qui n'a pas de coût politique, s'accumule. Et que l'investissement, la recherche et l'éducation sont négligés au profit des routiers et de tout ce qui peut faire le plus de dégâts immédiats.

Bayrou, venant d'une UDF déplumée depuis qu'elle n'est plus la façade centriste et pro-facho à la fois (rappelez-vous de Plunkett et les éditorialistes UDF du Figmag...) du RPR/UMP, n'a simplement pas les moyens de jouer ce jeu-là. Il n'est que de noter comment tout le reste du paysage politique parle de lui, pour le crédibiliser comme candidat anti- "système des partis".

Pas "antisystème", note. Bayrou, il croit à la démocratie, à l'entreprise, à l'école républicaine et plutôt laïque (je me souviens de la loi Falloux quand même: mais je considère que Strauss-Kahn dans son gouvernement serait un garde-fou suffisant si ses penchants bigots ressurgissaient). Donc c'est juste du système politique qu'on parle, celui qui, comme Bayrou l'a dit abondamment, se partage entre deux bandes rivales.

Et puis imagine-le pas élu, le François: qu'est-ce qu'il fait? Il est pas bien positionné pour un maroquin où que ce soit, le Béarnais. Bon bien sûr il préparera la Présidentielle 2012. Mais c'est loin.Il a raison de dire que les français, s'ils l'élisent, lui donneront une majorité. Mais ils ont raison aussi, ceux qui disent qu'il n'aura pas un grand parti derrière lui.

Ce reproche sur l'in-gouvernabilité, c'est précisément ça qui le rend crédible quand il dit qu'il dépasse les clivages. Il y a incohérence entre dire qu'il ne pourra gouverner et dire qu'il est toujours autant de droite. A cause de ça, la tentation pour lui de dévier de ce qu'il a promis (l'approche non partisane, la guerre agressive au déficit de fonctionnement, la priorité réelle à l'éducation et à la recherche, etc.) sera moindre que pour les autres.

On peut faire confiance aux hommes, mais il est préférable que les situations les épaulent.Bayrou, on se moque, mais il est enchaîné par son positionnement iconoclaste. Les autres ne peuvent pas en dire autant. Enfin si, Ségolène restera une femme pour longtemps, et comme c'est son principal engagement de campagne...

Programmes et attitudes

8 mars 2007

J'avertis d'emblée: ma vue est biaisée car je crois que, dans une démocratie, on peut s'adresser à l'intelligence des électeurs, et qu'on a tort de les mépriser en les réduisant à un ensemble de peur.

Pourquoi reprocher en particulier à François Bayrou de n'avoir pas de programme? Il propose manifestement des choses assez concrètes et dont tout le monde sait qu'elles sont souhaitables: le refus du déficit de fonctionnement budgétaire, la simplification administrative, la priorité à l'investissement et à la recherche, l'exigence de présence pour les députés.

Quelqu'un peut-il me dire ce que Ségolène et Nicolas proposent de possible? La posture de Ségo est morale. C'est peut-être en ça qu'elle est de gauche, mais c'est aussi en ça qu'elle fait fond sur une certaine tradition vieille France, non sans évoquer Pétain. Ségolène nous dit "avec moi, le changement il est là". Et que c'est manifeste parce qu'elle est une femme, une mère. Elle "l'assume dans sa relation au pouvoir".

Son programme économique, c'est l'invocation du "gnangnan", pardon, du "gagnant-gagnant", dont on a bien l'impression qu'elle même ne comprend pas le concept. Pas parce que c'est une femme, note. Sur ce point elle peut en effet fièrement se dire digne héritière de François Mitterrand, obligé de demander à Rocard pour comprendre quelque chose à l'économie.

Son programme social, c'est la féminité et le préjugé. Ainsi cette première loi annoncée, contre les violences faites aux femmes, qui nous promet qu'il ne sera plus nécessaire de porter plainte pour éloigner le conjoint mâle du domicile familial. Sans même parler de la discrimination manifeste qui consiste à inscrire dans la loi que par définition, ce sont les hommes qui battent les femmes (il y a un pas d'une réalité statistique à une discrimination juridique), il s'agit donc d'entériner l'idée que l'accusation, la délation simple, sont des façons appropriées de réguler la société.

Le fonds vieille France, avec ses préjugés et sa bonne conscience, se manifeste aussi dans la sélection même de la candidate, après tout la seule "française innocente", (i.e. pas juive), dans les termes de Raymond Barre des trois candidats socialistes. Et plus encore dans la stratégie de débat avec les opposants: Sarkozy, "néo-conservateur américain à passeport français", n'est qu'un étranger. C'est pour ça qu'il est méchant. Pas français.

C'est qu'elle a la politique "chevillée au corps", comme Pétain qui lui aussi, faisait don de son corps à la France. Et puis elle sourit. C'est tellement génial.

Et Nicolas? Lui, c'est l'attitude homme. Pas femme. Donc, litanie des préjugés inverses de ceux présidant à la campagne de Ségo: viril et énergique, compétent, protecteur, mais pas si proche de nous. Et puis, comme nous le montre les Guignols, en fin de compte, il voudrait bien leur casser la gueule, mais ils se contrôle pour l'instant. Pas de programme non plus, on ne sait pas ce qu'il veut changer d'important en France, sans même mentionner, bien sûr, qu'on ne sait toujours pas pourquoi il ne pouvait pas agir depuis le gouvernement, et il ne pourra que comme Président.

D'ailleurs, allons voir sur son site le "programme": président qui tient ses engagements". OK, quels sont-ils? "Président du pouvoir d'achat", "président de la valeur travail", président de l'accession à la propriété", "président d'une démocratie irréprochable". C'est tout. Notez bien que je suis entièrement favorable à avoir de l'argent, à posséder mon appartement, et à avoir des hommes politiques honnêtes qui n'utilisent pas leur fonctions électives pour avoir des ristournes immobilières.

Mais les maux français sont la dette, la désintégration sociale, le chômage bien sûr, la régression de l'éducation, la faiblesse des investissements et de la recherche, et les corporatismes qui favorisent l'immobilisme. Qui, des trois candidats, contesterait ce diagnostic?Dans l'ensemble, donc, des attitudes seulement.

Et, quand ils parlent de Bayrou, l'affirmation indubitable qu'il faut être, soit de droite, soit de gauche, et que c'est ce qui compte. C'est d'ailleurs bien pour ça qu'on a eu un second tour gauche-droite en 2002. Et d'ailleurs, nous rappellent les intellos du Nouvel Obs, le vrai débat politique, c'est les partisans du marché contre ceux de l'Etat social. Une vraie opposition fondamentale, et qui marche. Libéral ou alter-mondialiste, choisis ton camp, camarade.

Qui ne voit pas que ceux qui affirment qu'on ne peut pas sortir de l'opposition droite-gauche ne font d'ailleurs renforcer celui qui questionne sa valeur éternelle et indépassable?

Qu'on critique le programme de Bayrou, qu'on attaque même sa personnalité, sa crédibilité. Mais qu'on arrête de nous prendre des imbéciles et de vouloir nous faire peur en nous disant que voter Bayrou, c'est faire le jeu des extrêmes. Et par là on veut bien évidemment dire Le Pen car, même si on ne croit pas aux sondages, on n'a pas peur de Besancenot, Arlette et Voynet ensemble parce qu'ils sont très bas dans les sondages.

Empêcher Le Pen d'être au second tour est-il d'ailleurs un enjeu majeur? Il y a un jeu démocratique, et les électeurs ont le droit d'envoyer le signal qu'ils ne prennent pas au sérieux, non sans raison, les propositions "modérées" qu'on leur fait.

Bayrou a une attitude aussi bien sûr. Et un discours politique, sur le refus de l'alternative préfabriquée et artificielle. La différence, c'est que ce discours vient à l'appui de son programme, renforcer sa crédibilité. Il explique ce qu'il veut faire, et il explique comment. Puisqu'aussi bien l'immobilisme français est de toute évidence ancré dans les pratiques politiques existantes, Bayrou est plutôt plus crédible qu'un autre quand il ne prétend pas faire ce que chacun sait qu'il faut faire dans le même environnement politique qui a empêché ces réformes de se faire.

Et puis, la stratégie de Bayrou est suicidaire. Il ne ménage visiblement pas ses arrières en cas d'échec, et on ne peut guère reprocher à sa stratégie du tout ou rien de ménager la chèvre et le chou.Il suffit aux candidats et candidates d'expliquer ce qu'ils veulent faire pour sortir le pays de la crise. Et de s'adresser à notre raison plutôt qu'à nos peurs. On n'est pas bêtes, pas méchants, on mord pas. Mais on vote.

Rochat (et Rabaey), 2007

1er mars 2007

Je suis retourné chez Rochat samedi soir. Beaucoup mieux que la fois précédente (voir mon compte-rendu d'alors), avec son menu dégustation interminable et pas si bien. Un service exquis, hyper-professionnel ET chaleureux.

Dommage qu'on ait rencontré le chef, qui visiblement ne supporte que la louange sous ses dehors de playboy bronzé. Il faut pourtant bien lui dire que, quand on prétend autant à la perfection méticuleuse, et qu'on pratique des prix positivement stratosphériques (800 FS pour deux entrées plat dessert et une bouteille de Puligny-Montrachet à 150FS: beaucoup plus cher qu'il y a deux ans), les clients sont en droit d'attendre des cuissons parfaites et régulières. Rien n'est certes rebutant, mais, sur trois morceaux de ris de veau, de tailles égales, deux sont un peu trop cuits. Nos voisins de table se font servir des pintadeaux, d'ailleurs truffés, macaronisés et appétissants, dont les cuissons sont visiblement légèrement excessives et surtout différentes.

Ca n'arrive pas chez Bocuse, Pacaud (qui n'a pas de site web, mais voici une autre critique dans le Financial Times). Surtout, si ça arrive, le chef ne vous renvoie pas dans les cordes en vous disant: "si c'est trop cuit pour vous, il faut le renvoyer, on le refait". Gros con.

Mais à part ça, vraiment bien. Le sentiment qu'on prend soin de toi. Généreux en truffe, la meilleure purée de ma vie, des compositions apparemment simples et très méticuleuses.La maison se soucie de perfection artistique, ou artisanales, avec ses tranches de poireau et de comté étalées en rang comme pour le défilé du 14 juillet, la Patrouille de France constituée par des feuilles d'épinard luisantes et non moins parallèles et ordonnées, et puis un soupoudrage de truffe en batonnets et petits cubes, des pointes de vinaigrettes bicolores, font figures de lampion et de confettis.

Le foie gras aux cerises, avec une brioche épicée, est une belle composition, malheureusement un peu chargée en cerise. Mais si on organise ses bouchées soigneusement, on peut corriger ce déséquilibre et profiter de l'alchimie entre cerise si sucré et foie gras si gras.

Pour accompagner la purée de pomme de terre truffée exceptionnelle, j'avais un pied de cochon farci aux ris de veau, et abondamment truffé. Kerstin juste les ris de veau, dont j'ai déjà parlé. Dommage pour la cuisson approximative, mais c'est très bon, et la surcuisson du ris de veau est compensée par l'onctuosité de la purée. et le pied de porc et tout en gélatine et consistance gluante. C'est rare que j'arrive pas à nettoyer l'assiette, même avec du pain.

Avec le soufflé aux fruits de la passion, je comprends que, si Rochat a appelé son livre "Flaveurs", c'est pas seulement qu'il est suisse et qu'ils font des mots comme ça. C'est aussi qu'il attache peut-être autant d'importance aux odeurs qu'au goût. Car ce soufflé, très parfait, très léger, accompagné d'un jus de passion un peu (trop?) acide, est essentiellement enivrant à l'odeur. L'odeur seule est une expérience très proche de la tarte à la passion du regretté Jamin, assez chavirante. La même chose était d'ailleurs vraie du Puligny-Montrachet 2001 qui accompagnait le repas: odeur sublime, gout bon.

Le café est délicieux, ce qui est digne de remarque. Les différents pains aussi, ce qui ne l'est pas moins. Bref, une maison très sophistiquée, presque à la hauteur de ses ambitions, chaleureuse. Presque parfait. Mais, à la différence de ce que disent certains, la perfection excessive n'existe pas. C'est juste parfait ou pas. Ca l'était pas.

Par opposition, ceci dit, Rabaey est entièrement dévolu au produit exceptionnel, qu'il traque sans répit. Le beurre, le ris de veau. La meilleure pate feuilletée que je connaisse. Miam, miam. Chez Rochat, on admire l'art, les découpes et les présentations millimétrées. Et le service exceptionnel. Chez Rabaey, la très bonne bouffe joue un plus grand rôle. Mon impression du style du personnel de salle au Pont de Brent, ceci dit, était plus froide et distante, non sans cette tradition un peu arrogante du service à la française.

L'art contre la matière, en somme. Il parait que, le dimanche, ils vont ensemble faire du vélo dans les monts du Vaudois.

Week-end en Alsace

7 décembre 2006

J'étais en Alsace pour affaires, et j'ai voulu aller chez Husser parce qu'il est un des plus excitants contributeurs du très beau livre "l'atelier d'Alain Senderens". Après son passage chez Haeberlin justement, le jeune Husser des années 80 est allé trainer ses guêtres dans l'Archestrate de Senderens des années 80, l'avant Lucas Carton, et avec Passard, Sottha Khunn (une critique récente) et quelques autres. Il faut l'entendre parler de cette époque, de l'excitation d'un renouvellement de la cuisine dans une salle de 30 couverts, où on peut tenter ce qu'on ne peut pas faire quand on a cent couverts, donc même chez Lucas Carton. La salade de homard truffée, m'a-t-il dit, passait une minute au four, y compris la salade, pour que les arômes de truffe diffusent et que la salade tombe un peu mais à peine.

Husser cherche le milieu entre une vénérable tradition alsacienne et cette excitation de la création et de l'explosion de saveurs. Car l'explosion de saveur n'est pas, il me semble, le propre de la cuisine alsacienne, de ses Backeoffe et patés en croute. Elle serait plus dans la caresse, le ouaté, la douceur. Or justement, Kerstin a pris le menu tradition: paté en croûte, matelotte, choucroute, vacherin. Un peu sceptique, je me suis porté vers des plats que j'attendais plus intenses et plus simples.

Le pâté en croûte est sans doute un des meilleurs qu'on puisse avoir, meilleur à mon avis que n'était celui de Ducloux à Tournus. Ca reste Néanmoins de la viande froide dans de la pâte brisée, et le plus excitant, à mon avis, c'est la gelée et les crudités ciselés qui accompagnent le monument dans l'assiette carrée, un arc de triomphe à plat, farci.

Pendant ce temps, dans mon assiette, un carpaccio de St Jacques posé sur un tartare d'huitres, posé sur une fîne pâte feuilletée, posée sur quelques feuilles de mâche, tout ça pour servir de support à du caviar d'aquitaine qui est en fait la star du plat. Les huîtres renforcent l'iode du caviar, la St Jacques sa douceur, apportant aussi du moelleux en bouche, servant la durée. La mâche amène un contrpoint terrien à ce plat de terre subtil et évident. La fine pâte feuilleté était-elle utile? Je comprends l'intérêt du croustillant, et même celui du beurre, mais je ne suis pas sûr que c'était indispensable. Mon idée: si on veut garder la pâte feuilletée, pourquoi ne pas faire des bouchées, des petits ronds de pâte avec la même composition.? Là la pâte aurait une fonction, celle de rendre les bouchées cohérentes, et le contrôle sur l'équilibre de chaque bouchée serait total, plus que l'in ne l'est avec cette composition difficleà partager.

La matelote est constituée par un délicieuse sauce à base de fumets de poisson, de champignons et de vins blancs, crêmée délicatement, légère et parfumée. Elle contient les trois poissons obligatoires: sandre, anguille, brochet (En quenelle pour ce dernier), auxquelles viennet s'ajoutre un peu de truite et un ravioli d'écrevisse phénoménal. Tout est bon et très bien cuit, séparément bien entendu, et plutôt rôti que bouilli. En fait, c'est trop. Un seul de ces poissons, sur ce fond de sauce, avec quelques champignons, la ravioli en plus, et un peu plus de ce goût, ferait un plat intésement bon, sans plus de surprise.

Que faisait Juju pendant ce temps? Il s'adonnait à un de ces vices favoris, que je ne vais pas nommer mais décrire: Un risotto de cèpes classique mais efficace est mis sous un dôme de pâte frite. Par dessus, un oeuf poché et, râpé entre le nez et l'assiette, quelques grammes de truffe blanche (elle est facturée en effet au grame, en supplément du plat lui-même (5€ le gramme, à peine plus cher que le prix de détail). A mon avis, il faut saler assez abondamment. C'est délicieux, ça explose en effet en bouche, avec d'abord le parfum de la truffe blanche, ce sentiment de fondu, de saveur terrienne, qui surtout sublime l'oeuf et le riz, leur donne une profondeur et une durée, une subtilité, une complexité.

La "choucroute": il y en a bien deux cuillères à soupe, de choucroute. Dessus, du cochon de lait dans tous ses états, plutôt rotii que bouillli: quenelle de foie, tranche de poitrine croustillante et moelleuse, délicieux boudin, j'en oublie, et un peu de foie gras fumé, légèrement surcuit hélas. Un jus de cochon joyeux ceinture cette petit bande, mais il n'y en a pas beaucoup. Là encore, l'impression que la peur de manquer et la difficulté de choisir font passer le plat à côté du vrai triomphe: un seul de ces morceaux de cochon goûtu et parfaitement cuits, un lit de choucroute. Il manquerait peut-être quelque chose, mais je ne le parierai pas.

Pour moi, le pied de cochon farci, cuit 9h, avec un petit chapeau en shiitake (tu sais, les champignons chinois) et des légumes confits: carotte, artichaut, et aussi trois grosses frites de panisse, croustillantes et légères. Un jus corsé et abondant lie le tout. Le plat est une ode à la gélatine, et j'ai saucé l'assiette avec les doigts. A la sortie, le chef est d'accord avec moi: "j'adore". Comme quoi, le secret de la commande dans les restaus est toujours le même: donnez-moi ce que le chef aime, comme il l'aime.

Au passage, le chef me donne l'adresse d'un restaurent près d'Alba qu'il recommande. Le dessert était un vacherin classique, délicieux, léger: crème vanille, meringue, et des sorbets aux différents parfums incrustés dedans. Les mignardises, macarons, tartes tatins, éclairs, aussi très bons, presque meilleurs.

Au total quoi? Une institution, très sûre d'elle, sans fausse note, et sans ignorance de ce qui s'est passé dans la gastronomie depuis 30 ans. Une maison accueillante aussi. En fait, ca rappelle Rostang, sauf qu'on n'a pas l'impression d'avoir trop mangé à la fin -- on peut finir le repas. Mais est-ce que c'est vraiment mieux? Il y a ce sentiment d'absence de prise de risque, de parfaîte maîtrise de quelqu'un qui est loin de ses limites. Une addition raisonnable, en-dessous de 300 eur pour ce repas avec cinq verres de vin différents.

Le lendemain, on s'invite à trois à Obernai, au Bistrot des Saveurs (une critique). Le contraire en somme: une prise de risque forte, une carte agressive et audacieuse, et une démonstration de saveurs. De la truffe blanche et de la noire, une entrée de simples carottes, une autre de betteraves, une troisième de pain rôti et truffes. Des ormeaux, assez rares pour être soulignés. Des viandes et des poissons (et du pain) cuits dans la cheminée: sole et côte de veau pour nous. Des fromages uniquement alsaciens et inconnus, servis avec une salade mélangée croquante et intense. Et de simples éclairs. préparés à la commande, en guise de desserts classiques, et les autres desserts à base de courges, d'endives. Mais toutes les saveurs sont franches et puissantes. La carte des vins est pleine de splendides raretés pas trop chères.

Et malheureusement l'impression que l'ambition visible des patrons, et peut-être de la patronne en particulier, qui dirige la salle, laisse peu de place à la joie et à la convivialité. Ainsi l'assiette de gnocchis, jus de viande, saucisson et vieux Bergkäse arrive-t-elle sans trace des cinq grammes de truffe blanche choisis. On se dit qu'ils vont venir la râper sous nos narines ébahies, il n'en est rien. On avise la patronne, qui n'a pas vraiment l'air surpris, emmène l'assiette. Après coup, je soupçonne qu'ils essayent ça systématiquement avec les allemands et les suisses, qui payent sans discuter et qui ne font pas la différence. Quarante euros pour une assiette de gnocchis, c'est quand même un peu exagéré.

Elle ramène l'assiette dûment truffée... après cinq minutes, et avec la nostalgie des effluves de truffe blache restée en cuisine. Mais ensuite que c'est bon, que c'est bon, que c'est bon: le gnocchi moelleux, le fromage fondu, le fumé salé du saucisson, la douceur du jus de veau, l'enivrante truffe prolongée par une petite émulsion. Maman, pourquoi manger auter chose? L'assaisonnement, cette fois, n'est pas timide.

Autre faux pas: la sublime côte de veau, à la fois tendre et claire mais goutue, de lait mais un peu gras arrive littéralement saignante, soit-disant "rosée". J'en fais la remarque, le serveur me répond qu'elle est parfaite, qu'ils ont vérifié la température à coeur. Je monte à ses yeux la viande crue et froide sur l'os, il me dit que oui, peut-être ça n'a pas atteint l'os. Agacement. Alors que la viande est accompagnée d'une purée onctueuse mais pas robuchonienne(plus de patates que de beurre, malgré tout), parfumée aux mousserons, et d'un de ces jus de veaux qui, là encore, te font te demander pourquoi chercher plus loin. Et que même crue, elle est bonne. Ils s'y sont mis à trois pour couper la côte. J'ai dû expliquer au troisième comment on faisait.

En partant, la patronne ne nous dit pas au revoir. Parce que nous avons déjà payé (300€ à trois, une bouteille de Tokay macération 2002 et trois verres de vin) ? Quel dommage qu'une assiette et des vins aussi formidables, généreux, engagés, contrastent avec une équipe de salle qui semble ne s'intéresser qu'à mon portefeuille et ne considérer ma passion que sous cet angle...

L'endroit est superbe. Une vielle maison chaleureuse, de belles proportions, simple mais raffiné. Carreaux traditionnels et poutres apparentes. Des nounours font une bonne part de la décoration, la salle à l'étage est vraiment comme chez soi. Pleins de belles choses sur les tables, de surprises comme ces éprouvette avec des jeunes pousses de carotte, de chou, de romarin...

Tante Jeanne, in memoriam

19 juin 2005

Tante Jeanne a fermé.

En mangeant chez Tante Jeanne (Jérôme Bonnet, chef des cuisines), j'avais eu l’heureuse impression de retrouver les sensation propres à la cuisine de Bernard Loiseau : loin des modes, une cuisine effectivement légère et savoureuse. Deux ou trois saveurs par assiette, tranchée, des produits exceptionnels et surtout très très frais, qui explosent en bouche, qui y durent ; une cuisine qui révèle la complexité d’un arôme supposément simple.

Ainsi de ce dessert : des gariguettes, brillantes de fraîcheur, justes tranchées. Sans doute pour compenser la légère acidité des premières fraises, elles sont posées sur un riz au lait, fondant simple, peu sucré et pas crémé, mais cuit comme il faut : pas un de ces risottos sucrés au grains croquants, mais une pure douceur régressive. Pour faire contrepoint en saveur (acide) et consistance (croquante), l’astuce consiste en des lamelles de rhubarbe séchées et à peine caramélisées. Le premier contact est ainsi craquant et légèrement acide, mais il est immédiatement apaisé par la douceur du riz au lait, et cette conjonction permet au juteux de la fraise de s’exprimer, de se développer, et d’envahir le palais, puis le nez. Le parfait dispositif est renforcé par un sorbet à la Loiseau : une grosse quenelle, onctueuse mais pas liquide, en fait quasiment un jus de fruit turbiné, à peine sucré. De cette façon, on ajoute au moelleux initial, l’excitation par le froid, le développement de la fraise en bouche. Il y en a plusieurs vagues.

Avant, il y avait un autre de ces plats lumineux de simplicité : des morilles et des coquillages en ragoût. Des morilles sautées, des St Jacques poêlées, des bigorneaux, petites crevettes grises, moules, coques, et je ne sais quoi, tous décortiqués. Le tout dans une assiette-bol, dans un mélange de jus de coquillage et de jus de morille, évidemment concentrés. L’assaisonnement est bien sur également à la Loiseau : brutal, salé, précis, il fait se répandre l’iode et le sous-bois sans les écraser.

Encore avant, il y avait un plat de légumes crus et cuits. La feuille de salade est simplement exemplaire, les tranches de radis brillent et sont translucides en même temps, les sauces sont à base de purée de courgettes, et de pistache.. ; c’est un plat de légumes de printemps qui est très « sur le fruit ». En guise de mise en bouche, un tartare de jambon cru au pistou était une promesse de saveurs fortes, maitrisées et surprenantes, qui a été tenue, en somme.

Bon, le chef ne s’appelle pas Bernard Loiseau, mais il en a retenu ce que tant d’autres ont oublié : une cuisine à la fois raffinée et brutale, qui ne cesse jamais de surprendre sous ses dehors conservateurs.

Rochat en 2005

Chez Rochat

L’excitation était grande. Il n’y a pas tant de restaurants qui ont la réputation d’être « le meilleur du monde ». C’est le cas du restaurant de l’hôtel ville, à Crissier, près de Lausanne, anciennement la maison de Freddy Girardet, maintenant celle de son successeur Philippe Rochat.

Pour renforcer l’excitation, il y avait ce livre de Rochat qui vient de sortir, Flaveurs. Avec des photos superbes et la description d’une cuisine d’un soin inouï, d’une méticulosité absolue, et très respectueuse du produit, avec des cuissons minimalistes. J’étais dans le coin, c’était l’anniversaire de ma femme. Bon ben allons-y.

Or donc, qu’est-ce qu’on a mangé ? La dégustation proposée. Des amuses-bouches de la mer et d’inspiration asiatique – une sauce genre indienne, une genre aigre-douce chinoise, une genre japonaise, esprit sushi. Je me souviens que c’était effectivement très soigné, à l’œil, et au palais. C’était vraiment des « amuse-bouches » plutôt que des mises en bouche, une blague pleine d’esprit pour vous mettre à l’aise – et du meilleur goût.
Ensuite, pour elle, les fameux cardons de Crissier à la truffe. Ils laissent surtout le souvenir d’une bonne sauce crémée, tout en douceur. A mon avis, la crème est le meilleur ami de la truffe, son onctuosité est comme une page blanche sur laquelle la truffe noire peut s’exprimer et se développer complètement. Cette année, pourtant, la truffe n’est pas bien forte, sans doute à cause de la canicule. Bref, très plaisant, pas éblouissant. De mon côté, le foie gras aux figues et aux noisettes. Que c’est beau – et sophistiqué ! Il y a là des parts triangulaires d’un gâteau de foie gras. Une couche de foie, une couche de figues, une couche de foie gras, un glaçage dessus et une noisette avec des grains de sel en guise de cerise sur le gâteau. Il n’y a pas, c’est délicieux. Sous la sophistication, la composition des goûts est simple, évidente. L’assaisonnement parfait. Un grand moment. Je m’avise qu’il y des Shadocks partout sur les assiettes – ma femme me dit que c’est du Magritte.

Ensuite quoi ? Ah oui, des coquilles St Jacques dans un beurre de Dom Pérignon 1945. La St-Jacques dans un vert de poireau étuvé, avec du vert de poireau ciselé sans doute par des schtroumpfs, parce que c’est pas possible qu’un commis de cuisine puisse faire des morceaux si petits avec juste un couteau. Ici, l’assaisonnement de la St Jacques est insuffisant à mon goût. Mais le morceau de bravoure, c’est le Beurre au vieux Champagne. Le Champagne tient le premier rôle, c’est même un one man show – la St Jacques, comme le beurre, lui serve de support, leur goût propre ne se remarque pas – on a même du mal à le reconnaître. C’est très raffiné, donc, très subtil dans le développement des arômes. J’aurais dû goûter le champagne lui-même : est-ce qu’il est meilleur ? Est-ce qu’il a les mêmes arômes ? Est-ce que cette recette, au contraire, le révèle ?

Suivait un plat de turbot dans une crème aux endives et aux agrumes. Le turbot, trop cuit et pas très bien assaisonné : il ne joue pas grand rôle. Ce qui est intéressant, en fait, c’est la rencontre de saveurs entre endives et agrumes – à mon avis, c’est exploité de façon bien moins précieuse et plus pure par Régis Marcon dans sa Tatin d’endives, où les endives sont cuites dans le jus d’oranges. Et toujours les herbes et légumes découpés par l’équipe de schtroumpfs de l’hôtel de ville. Ce plat se signale aussi (ou était-ce le précédent ?) par un record : il y a quatre assiettes concentriques sous la soupière. Si on ne cherche pas à attirer le regard… Mise à part cette rencontre de l’endives et des agrumes, ça a un goût de moules marinières : crème et vin blanc, iode. C’est bon mais autant qu’à la Vieille Coque, au Guilvinec, Finistère Sud. Et comme à la vieille coque, c’est un peu trop crème et beurre, un tout petit peu écœurant.

Le moment franchement somptueux, c’était l’agneau, jus truffé. Au bout de la piste d’un porte-avions décoré avec des Shadocks (Il semblerait qu’ils appellent ça une « assiette » en vaudois ?), il y a quelques côtelettes et un morceau de selle, un jus d’agneau truffé. Ouh que c’est bon. L’agneau hyper moelleux à la cuisson parfaite, le jus net. C’est aussi le premier plat qu’on nous sert qui n’est pas une « soupe » (à part mon foie gras), pas servi dans une assiette creuse avec le morceau de chair au centre de l’assiette et 20cl d’émulsion tout autour. Du coup je me dis que ce menu dégustation n’était pas le bon choix – que j’aurais dû prendre juste une viande – un poulet rôti ou une épaule d’agneau – il y avait ça sur la très grande carte. D’ailleurs, je repense au livre de Rochat Flaveurs, où il précise la température à cœur des diverses chairs : ça a l’air de marcher mieux pour les viandes que pour les produits de la mer.

Les fromages sont tout ce qu’il y a de plus impeccable. Comme pain, ils ont une espèce de ficelle sucrée qu’ils appellent « paillasse » et qui est gravement bonne, et aussi un pain en forme d’épis de blé qui piquent le palais. Et plein d’autres. Un dessert à la mangue et à l’ananas est un autre grand moment. A la différence de tout ce que j’ai mangé jusque là, il explose en bouche, il n’est pas exagérément enrobé par le sucre et le beurre. Il y a des très fines tranches de mangues disposées sans doute par la même armée de schtroumpfs qui taille les légumes. C’est ce qui m’a le plus plu. Ensuite, je dois dire que je m’attendais à une orgie avec le plateau de dessert que j’avais tant vu photographié et dont j’avais tant entendu parler. Les tartes et gâteaux étaient très sucrés, les fruits très bien taillés. Mais ça ressortissait plus de l’esprit d’abondance d’un grand palace que de la sélection lumineuse d’un grand chef. J’imagine que c’est inévitable quand on veut garantir un plateau de desserts à chaque service, à peu près identique. Pourtant, dans le même esprit d’abondance de délices, Bocuse ou Guichard (Jamin, Paris) m’ont paru éblouissants. Ils ne proposent pas des douceurs, mais des délices.

Alors, « le meilleur restaurant du monde » ? Une cuisine de haut niveau, certes, extrêmement policée, dans le style de ses pairs : Robuchon, Ducasse, Legendre pour citer les plus brillants. Ils peuvent se réclamer héritiers de la nouvelle cuisine. C’est pas vrai. Il n’y a plus de farine dans les sauces, mais elles sont généreusement montées au beurre et liées à la crème fraîche. Aucune saveur ne trouve grâce si elle n’est pas douce, onctueuse –comme une caresse. Bien sûr que c’est bon. C’est tellement bon qu’on en reprendrait. Encore et encore. Est-ce qu’en fait, ce n’est pas le signe d’une insatisfaction ? Robuchon, Legendre, ou Rochat, ont-ils retenu la leçon de la « nouvelle cuisine », celle de Guérard, de Senderens, et même de Bocuse ? L’épure, les légumes, les saveurs nettes, l’éblouissement ? Certes ils ont intégré ces « nouvelles tendances ». Mais en somme, leurs tables sont des tables de plaisir, mais pas des tables de spectacle. La nouvelle cuisine, c’était qu’on venait dans un grand restaurant pour manger, pour assister à la représentation de l’artiste en cuisine. Ce n’est pas la cuisine de Carême, ni celle de Vatel, parce que ce n’est pas la cuisine des fêtes, des discussions politiques ou d’affaires, et du standing. Elle n’entre pas dans le programme de Don Juan, ou dans le slogan « des femmes et du vin », elle n’accompagne pas un bon moment : elle le constitue. Pour une bourse modeste, le prix d’un grand restaurant, si c’est pour manger des choses « très bonnes » est proprement exorbitant. Il est sans doute plus acceptable ou compréhensible s’il s’agit de vivre une expérience esthétique. La cuisine de plaisir de Rochat est une cuisine pour riches : très bon, très cher, pas dérangeant.

Cela étant dit, il faut saluer les prix de Rochat : 270 FS (environ 150 €) pour une dégustation trois étoiles, c’est pas cher. Les produits sont très beaux, très proches du meilleur niveau. Et le soin apporté à leur préparation, à leur présentation, à la vaisselle, est éblouissant (comme sur les photos). Bref, je ne sais pas en quel sens c’est « le meilleur restaurant du monde », mais c’est un bon rapport qualité prix comparé à ses pairs. On en prend plein les yeux et on en a pour son argent.