vendredi 31 août 2007

Guy Savoy, Noël toute l'année (fr)


(Sebastian Straessle et Florence Botel/Guy Savoy)

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Allons tout de suite à l’essentiel : c’est vraiment une menu à 100€. On nous a donné des cartes sans prix, mais identiques à la cartes habituelle du restaurant. Réservation par Internet, une table par déjeuner, mais c'est possible. C’est donc une très bonne affaire, au moins en regard des prix habituels chez Savoy. C’est toujours Savoy quand même, et notre déjeuner pour deux nous a en somme coûté 364€ avec nos trois verres de vin et un café chacun.

Intrinsèquement, la cuisine n’est pas, à mon avis, au niveau des meilleurs restaurants parisiens (L’Arpège, Pierre Gagnaire, L’Ambroisie). Mais l’expérience d’ensemble est une des meilleures qui soient, à Paris ou ailleurs. Un repas chez Savoy, c’est toujours une fête.
(Sebastian Straessle et Florence Botel/Guy Savoy)
Le décor est particulièrement agréable, Wengé, cuir et œuvres d’art. Le toucher des nappes damassées, l’éclairage sophistiqué et discret : d’emblée, tout est fait pour éveiller les sens. Dans la salle où nous étions (le restaurant est organisé en une collection de petites salles), il y avait une grande peinture d’un chapeau de clown, aux couleurs incroyablement joyeuses (vous pouvez le voir dans le fond de la photo ou Hubert découpe le sabodet). Ça n’attire pas le regard, ça ne le fixe même pas, c’est facile à ignorer. Mais ça distille un peu de joie simple dans la pièce, sans rapport avec les nourritures servies.

Le service est incroyablement professionnel et en même temps hautement individualisé – pas seulement au client, mais au serveur aussi, laissant l’individualité de chacun s’exprimer. Eric Mancio, directeur du restaurant et sommelier, est une homme infiniment aimable, hyper-sensible et pourtant simple. Il choisit des vins qui sont comme lui, qui prennent soin de vous, comme le Condrieu incroyablement minéral, comme de l’eau, qui accompagnait merveilleusement notre sabodet ; ou le Muscat vendanges tardives d’Ostertag, intensément doux sans être trop sucré. Le veau, lui, nous fit servi avec un des rouges du Sud-Ouest intenses qui semblent être le nouvel eldorado des sommeliers à la recherche de bons vins et de marges solides.(Guy Savoy, Photo Eric Brissaud/Guy Savoy)

Hubert, le maître d’hôtel allemand, über-allemand même, est une star locale. Il vous proposera toujours de prendre le contrôle de votre repas (et pas seulement de votre commande), vous souhaitant « pon plaizir », et vous amusera gentiment au long du repas de son personnage de clown lubrique qui ne renonce à la nourriture qu’il vous sert qu’à regret. Ce jour-là, il déambulait dans les allées du restaurant, poussant son chariot de dessert et vantant, prétendument à lui-même, ses « fraizes de Ploukastel korchées de soleil ». Show biz, pour sûr, et à son meilleur(Chariot de desserts Photo Laurence Mouton/Guy Savoy).

Pendant tout le repas, il y a toujours une avalanche de petites surprises et d’attentions chez Savoy. Et, étrangement, ça n’est jamais trop. Aussitôt assis, on vous apporte un mini club sandwich au foie gras, qu’on assemble d’abord devant vous avant de vous le tendre directement, de la main à la main. Une multitude d’autres petites bouchées et attentions parsèment le repas, elles aussi souvent données de la main à la main, marshmallows, pains spéciaux, raisins caramélisés. Comme dans peu d’autres endroits, on a ici le sentiment d’être le centre d’attention, une impression qui, paradoxalement, semble partagée, consciemment ou non, par tous les convives dans la pièce.
(Photo Laurence Mouton/Guy Savoy)
D’autres petites attentions et extras comprenaient trois ou quatre amuses-bouches, très bons et pas difficiles à apprécier, et un service de la fameuse soupe d’artichauts à la truffe noire et au parmesan, toast de brioche feuilletée aux champignons sauvages et beurre de truffe (en forme de compensation pour mon amoureuse qui, pour une raison obscure, n’appréciait pas l’idée de manger de la saucisse de tête de cochon). La procession infinie des pré-desserts, desserts, post-desserts et post-cafés s’ajoute aussi à cette liste, culminant dans deux très grands classiques de la maison que sont le sorbet au thé Earl Grey et la lilliputienne portion de tarte fine aux pommes, la meilleure du monde, avec une pâte très fine, de la compote, des tranches très fines, et du sucre, et du beurre. Miam.

Avant les desserts sans fin, il y avait donc un plat hors menu, que j’avais commandé à l’avance : un sabodet (grosse saucisse lyonnaise à base de tête de cochon, donc) avec une salade de pommes de terre. Ne paniquez pas : c’était mon idée, et Savoy offre des plats plus orthodoxes dans une maison comme la sienne (voyez le menu sur son site).

C’était admirable. La saucisse elle-même offre une variété de textures, aucune d’elles n’allant jusqu’à la résistance un peu déplaisante de cartilage. Les pommes de terre adoucissent un goût qui n’est pas spécialement fort en fait, et, en plus de la cuisson parfaite des deux éléments (la saucisse cuite mais sans la sécheresse ni l’âcreté que provoquent la surcuisson de ce type de met, la pomme de terre fondante), la touche « grand restaurant » venait de cette vinaigrette d’herbes qui avait une consistance de sauce au beurre et faisant le lien entre ces textures et ces goûts. Complètement trois-étoiles à mon goût.

Et puis il y avait une autre grande spécialité de la maison : la côte de veau juste rôtie, purée de pommes de terre. J’ai toujours adoré ce plat tel que Savoy le sert : simple, intense et raffiné. Mais, à la différence de ce dont je me souvenais (je n’étais pas venu chez Savoy depuis des années), la cuisson est correcte mais pas parfaite. Enfin, elle est parfaite par endroits, excessive à d’autres. Le jus est liquide et pourtant trop fort, avec un petit goût de brûlé. Et la purée, avec du jus et du beurre dedans, est elle aussi trop riche. Mais prenez un peu des trois ensemble dans une cuillère, et c’est simplement délicieux, l’âcreté du jus compensé par la fadeur de la viande, la sécheresse de la viande compensée par l’onctuosité de la purée.

Et puis c’est toujours un plaisir rare que la découpe et le service en salle, quand c’est fait par des grands professionnels qui le font paraître facile (pas comme au Bistrot des Saveurs).

Leur créneau, c’est délicieux. Votre plaisir, immédiat et entier, on le prend très au sérieux par ici.

Ça ne veut pas dire que c’est un cuisine parfaite, ou digeste, ou qui ne pourrait pas être meilleure. On sentait bien, quelques heures après, qu’on avait beaucoup mangé et beaucoup bu. Mais je reviendrai avec des potes, pour des célébrations onéreuses de toutes sortes. Appeler cet endroit un restaurant ne lui rend pas vraiment justice. C’est plutôt un théâtre, un théâtre gastronomique.

Déjeuner du 7 juin 2007

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