samedi 16 juin 2007

Souvenirs d'Ambroisie

Tourte de canard sauvage -- photo Gastroville.com

The English version is here.

Après avoir relu un des rares comptes-rendus existants (et en images) de repas a l’Ambroisie, j’ai voulu partager mes propres souvenirs à propos d’un chef dont on parle peu.

Je comprends les réserves et l'enthousiasme. J'ai mangé trois fois chez Pacaud. Je suis toujours partagé entre l'enthousiasme pour la perfection sans pareille de la cuisine et des produits d'un côté, et l’espèce de tristesse, de désespoir même, de l'endroit, de la personnalité de Pacaud, et peut-être même de sa cuisine, de l'autre.
Le film disponible en DVD me semble assez juste à ce sujet, qui montre à la fois la perfection et l'infinie tristesse, laisse impression que ce petit bonhomme joue simplement sa vie et à chaque service, que la perfection est son salut et son seul espoir. Je développe cette idée .

Mes très grands souvenirs de Pacaud sont des raviolis de homard aux girolles le jour où le Concorde s'est crashé; c'est toujours difficile d'en parler tellement c'est bon et évident. La pâte fine mais onctueuse, le homard ferme et intense, les petites girolles souples et presque sucrées, la sauce, que je suppose faite d'un mélange de fumet de homard et de jus de girolle réduits, montée au beurre. Moi, je suis souvent frustré que les assiettes ne soient pas plus grandes, et qu'il n'y ait pas plus de petites surprises chez Pacaud, au contraire de Savoy par exemple.Immense Pacaud: des topinambours, de la truffe, du jus de pigeon -- c'est même pas une recette (cette photo et les suivantes MobyP)

Un autre souvenir immortel était une poêlée de fruits rouges, arlettes et glace à la vanille, positivement orgasmique. J'étais en fait gêné qu'il y ait d'autres gens, parce que j'avais envie de ronronner en grattant la nappe (les contractions instinctives de la main du bébé têtant et jouissant) et en fermant les yeux.

Il y avait également, une autre fois, cette poulette gauloise juste rôtie avec un beurre d'herbe sous la peau, et des gnocchis "à la Parisienne". Ah ! la beauté d'une volaille parfaitement rôtie et assaisonnée, avec les blancs brillants et onctueux, les cuisses parfumées, fermes et tendres. Et ces gnocchis, si savoureux et fondant, avec cette sauce, comme une béchamel, mais bonne!
C'est qui le pigeon maintenant?
À ceux qui prétendent qu'un poulet rôti, ce n'est jamais qu’un poulet rôti, qu’autant aller dans un bon bistrot, il faudrait faire partager cette expérience (il y avait aussi la pintade rôtie chez Jamin, du temps de Benoît Guichard, dans le même registre. Elle appartient hélas au passé, maintenant).

Comme la poulette était naturellement longue à cuire, on nous a servis des petits légumes cuits au vin blanc. Oh ! Trois fois rien : juste cette impression de n'avoir jamais mangé de courgettes de ma vie (et pourtant...), fruitée, fondante mais croquante. Et une tapenade: moi, j'aime pas ça. Mais là, si.

À mon avis, si jamais les prix stratosphériques d’un trois-étoiles peuvent être justifiés, c’est à l’Ambroisie : l’expérience ici est en tous cas unique et incomparable. Je ne crois pas qu’on puisse avoir quoique ce soit de comparable pour moins cher. À vrai dire, je pense que ça me coûterait le même prix si j’essayais de le faire moi-même. Et pourtant, c’est vraiment, vraiment cher, et il n’y a pas de menu (tarte au chocolat, photo lxt).

En fait, il faut prendre au sérieux le nom du restaurant: l'ambroisie, le nectar des dieux. Pacaud travaille pour l'éternité -- il recherche, et de fait atteint, cette perfection divine qui met un terme à nos errances. Il y a quelque chose de religieux dans cette recherche du potentiel des produits bruts, naturels: voici comment c'est bien fait. La poularde demi-deuil parfaite existe, je l'ai rencontrée, et je la fais advenir pour vous ce soir.
Le "feuilleté belle humeur": une truffe, une tranche de foie gras dedans, de la pâte feuilletée autour, une sauce aux pelures de truffe en-dessous. Amen


Voir aussi le post sur les meilleurs restaurants parisiens.

1 commentaire:

Julot-les-pinceaux a dit…

About Pacaud’s sadness

This is another comment about Pacaud’s style, following comments by Steve Plotnicki on the earlier post “S’il n’en reste qu’un”.

Steve thinks he gets bored at l’Ambroisie because it is stuck in the time of Nouvelle Cuisine and refuses innovation. I believe the real reason is that there is something intrinsically sad about the chef and the restaurant.

One point we can agree about is the consistency of the setting, the style of cooking, and the overall experience.

Again, I will point out to the film about Pacaud, “Les secrets de cuisine de l’Ambroisie”. Intertwined are shots of the restaurant’s life, and the tale of Pacaud’s life, which he talks about seating in his dark apartment upstairs, reviewing old pictures and a letter of encouragement from la Mère Brayier.

That tough little guy is often close to tears in this movie. As a small child in Bretagne, he used to cook himself to try to lighten the tensions at home. Then he was abandoned and went to an orphanage near Lyons. He went one Sunday up to the Col de la Luère, at “La mère Brazier”, then a three-star restaurant renowned for his poached poularde, to wash the dishes. “I never came back” he says. He, like the others in the restaurant, called her “La mère”.

When he left, he wanted to be a gym teacher, but she wrote him the afore mentioned letter, in which she writes that she thinks he has “un beau métier” (that is, some skills). He then met Claude Peyrot at le Vivarois, another three-star restaurant in Paris, a very influential cook. At first a unpaid intern, Pacaud quickly ends up running the kitchen. When he left to open his own restaurant, Peyrot did not keep the third star long.

My overall impression is that that little guy has his life on the line with every dish he sends. Cooking, for him, is salvation, he finds some eternal truth there. Can’t trust the parents, had to leave the adoptive ones (Brazier and Peyrot), but there is one stable element: how to get the best of each ingredient. It starts with finding the best possible product, handling and transporting it with care, preparing it as soon as possible, serving it at the exact best possible moment, etc.

In the movie he says how much he likes to make gnocchis, cause he knows exactly how this is going to go and how long this is going to take. It soothes him.

This, in my opinion, results in a cooking whose only purpose is the maximisation of the intensity of the taste of each ingredient. Combinations are just one tool at the service of this endeavour. Everything else, I believe, leaves Pacaud uninterested. Starting with novelty, innovation, the spirit of times. He says in the movie that we believe we invent but only rediscover over and over again, taking the example of the figs with fennel he thought he invented but later found mention of in a book about Louis XIV.

I am sure he does not reject innovation, providing it is submitted to the ultimate goal of maximising intensity of each taste. He says that he does not do risotto anymore because an Italian friend of his makes it much better than he. I guess he would either start sous-vide cooking or abandon roasting if he believed sous-vide gives better results for what he does.

Is maximising the intensity of the taste of a product its “truth”? Obviously there are alternative responses, but this one is convincing, not so much for the brain as for the palate.

Obviously too, the refusal of anything else that this maximisation has something sad because it ignores all the other good things in life and in food. Furthermore, because Pacaud only reached for his kind of perfection, any imperfect meal at l’Ambroisie, though it is rare and still technically admirable, is bound to totally miss his point.

As they say in the Michelin, in a three star restaurant, you eat “always very well, sometimes wonderfully”. The reason why it makes sense that some consider l’Ambroisie the best restaurant in the World is that no one cooks in a more intense way than Pacaud. But clearly it is not worth it if it is not a litteraly stupefying experience, one that speaks for itself, gives a feeling of absolute truth.