vendredi 4 mai 2007

Sarkozy: évidemment!

Avez-vous remarqué que le petit Nicolas, celui qui a changé, qui est gentil, ment très peu pour un homme politique ambitieux, et héritier de Chirac?

En l'écoutant(pensez si j'aime ça!), j'ai trouvé frappant que sa stratégie de discours, plus que d'autres, repose en grande partie sur le fait de ne dire que des évidences, des choses incontestables. Lesquelles sont par ailleurs sans rapport avec le sujet dont on parle.

Ainsi, la polémique sur "l'immigration et l'identité nationale": dans toutes les explications ultérieures, il nous a expliqué que les immigrés doivent connaître et respecter ce qu'il appelle "nos valeurs", "notre identité nationale" et dont il dresse une liste: la monogamie, l'égalité homme-femme, la laïcité, etc. Imparable. Il a raison de dire ça. Qui le contesterait?

Mais notons que ça n'a rien à voir avec des valeurs, moins encore avec l'identité nationale: ce sont les fondamentaux de la légalité dans tous les pays occidentaux. En théorie, au problème initial lié à l'affirmation implicite que l'identité nationale est menacée par l'immigration, s'ajouterait donc celui qu'un ministère devrait définir précisément notre identité.

C'est en écho avec l'idée que la France, on l'aime ou on la quitte: en soi, ça me paraît assez défendable (en faisant abstraction du fait qu'on n'a pas toujours le choix). Mais qui est-ce qui va me dire si j'aime la France ou pas? C'est à moi seul d'en juger. D'ailleurs, je l'ai un peu quittée ces derniers temps. Pourtant je l'aime. En tous cas, qu'est-ce que ça a à voir avec de l'action politique, du gouvernement?

Il y a aussi "si la gauche vaut être du côté des fraudeurs, c'est son droit etc.". Qui peut contester une telle phrase? C'est un syllogisme parfait, dont le prémisse n'a juste aucune raison d'être. La phrase est strictement vraie.

J'ai déjà parlé du fameux "programme": valeur travail, pouvoir d'achat, propriété, République irréprochable. On ne peut pas ne pas être d'accord avec ça, si? En quoi ça constitue un programme d'action, ou en quoi il est vraisemblable que notre Kozy d'amour y contribue, ou en quoi est-ce que c'est une vision politique, un projet de société: toutes ces questions ne se posent juste pas.

Et la femme violée qu'il a reçu dans son bureau, qu'il évoque en réponse à une question sur les peines planchers? On partage tous cette compassion et cette indignation. Ce n'est même pas que les solutions que proposent Sarkozy sont contestables: c'est qu'on n'en discute pas. Pas du tout.

Et puis pourquoi on l'aime pas? Tiens oui, c'est vrai au fond, pourquoi? Mais je l'aime, moi! J'aimais Chirac aussi. Je crois qu'une soirée à l'ambassade d'Auvergne avec l'un, au théatre Marigny avec l'autre, seraient de très bons moments. je t'aime, moi, Nicolas. Je veux pas que tu sois président, mais je t'aime.

On pourrait multiplier les exemples, le débat du 2 mai n'a pas fait exception, moins encore les meetings et les interviews. Mais j'attire votre attention sur ce qui me semble être un motif: notre Kozy d'amour ne dit presque jamais rien de contestable. Il a une stratégie du "sans rapport". Il parle juste d'autre chose que de ce qui est en débat.

En ça, les Guignols sont totalement à côté du personnage. J'y reviens encore: c'est un clown, un personnage de Ionesco. Une caricature plus vraie nous le montrerait nous parlant des victimes de viols quand on le questionne sur la liberté de la presse, nous parlant de ses sentiments quand on lui parle de la séparation des pouvoirs, nous parlant de liberté quand lui parle de choix économiques et sociaux, et de morale quand on lui parle d'échec scolaire.

Ah, c'est pas une caricature?

Ça ne le rend pas moins important, sérieux, peut-être même sincère, et qui sait ce qu'il fera comme président? Mais je crois que c'est une caractérisation assez juste de sa stratégie rhétorique. Amis linguistes et rhétoriciens, comment s'appelle cette eau chaude que je viens de réinventer?

Je crois qu'il est clair qu'il y dans cette structure dans son discours quelque chose de profondément politique, pas nouveau: le pouvoir politique se détache par nature de la réalité, il la reconstruit, comme de Gaulle a réussi à faire de la France un vainqueur de la Seconde guerre mondiale contre l'évidence, contre les faits.

Mais ce que je trouve remarquable, moderne peut-être chez Sarkozy, c'est justement qu'il ment si peu. La France vainqueur de la guerre, ou le Français une des deux langues de travail de l'ONU, la modernisation pompidolienne de le France: ce sont des contre-vérités dont le pouvoir politique a fait des réalités.

Par contre, les évidences du petit Nicolas sont des vérités sans rapport avec la choucroute. Peut-être que son sacre couronne cette nouvelle ère des politiques sans aucune influence sur la réalité?

Dans la septième saison de West Wing, Josh explique qu'il y des questions sur lesquelles il ne sert à rien de débattre, parce que soulever ces questions, c'est donner des points à un camp, sans que les arguments comptent. Ainsi, sécurité nationale= républicains, et aucun argument, aucune preuve ne peut ébranler cette certitude politique inébranlable.

De fait, les Etats-Unis, toujours dix ans en avance sur nous, ont déjà élus leur Sarkozy. Peut-être aurons-nous notre Barack Obama après deux législatures Sarko, nous aussi?

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