12 mai 2007
Je ne sais pas si je dois en parler: depuis le départ de Frédéric Robert, le chef des cuisines, mes expériences chez Senderens (quatre) ont été décevantes. Après la transformation de Lucas Carton en Senderens, j’avais d’abord été émerveillé de retrouver la même magie pour moins cher. J’ai fait à Lucas Carton, puis à Senderens, les meilleurs repas de ma vie, éblouissants, surprenants, laissant une satisfaction à la fois immédiate et durable.
Depuis le départ de Robert pourtant, les assiettes restent intéressantes, et mêmes surprenantes (ce sont toujours les idées d’Alain Senderens), mais sans grâce, pas éblouissantes. Les cuissons sont plus approximatives, les assaisonnements aussi. La terrine de gibier, par exemple, qu’on nous servait tiède, sort maintenant du frigo, avec cette méchante mâche de la pâte feuilletée qui a passé trop de temps au frigo, et cet amalgame des saveurs qui est le contraire de ce qui faisait de ce plat une merveille. L’agneau est cuit longtemps mais à trop haute température, sec et peu savoureux. L’éblouissant bouillon chinois avec son foie gras dedans est réduit à sa recette, certes géniale : un foie gras dans un potage pékinois. Mais magie partie.
Ceci dit, le chef pâtissier n’a pas changé : allez-y pour les desserts, ils sont toujours magiques, à commencer par les glaces et sorbets, sans oublier les macarons à la rose, dacquoise au poivre, mille-feuille…
Plusieurs témoignages négatifs de gourmets réputés, dans les années 90, classaient d’ailleurs sans ambage Alain Senderens au rang des gloires passées et des restaurants pour ceux qui ont trop à dépenser. C’était en contradiction avec mon expérience. A mon goût, Lucas Carton/Senderens avait été tout simplement le meilleur restaurant du monde. Aucun repas n’y avait été moins que merveilleux. Je n’avais jamais eu le sentiment de payer trop cher, malgré des plats à cent euros et plus.
Il semblait donc que Frédéric Robert y soit pour quelque chose. D’où l’espoir que la magie qui a quitté le restaurent Senderens ait suivi son chef : dans le cadre exceptionnel du restaurant de la Grande Cascade, dans le bois de Boulogne.
Pour une part, cette expérience a confirmé mon diagnostic : la cuisine de Robert à la Grande Cascade est d’une absolue virtuosité, une épure qui suggère la perfection. Les produits sont proprement exceptionnels, et le brio d’exécution est à couper le souffle. Ainsi, à côté d’une tuile à la tapenade et d’un petit bout de rascasse en gelée, une soupe glacée de melon, presque un sorbet, avec des petites boules de melon et de la menthe ciselée. C’est un de ces plats qui fait aimer ce qu’on n’aime pas. La douceur du melon à exacte maturité est renforcée par le froid et la consistance de soupe épaisse, paysanne, que la menthe fraîchement ciselée vient souligner, prolonger et alléger (pas atomiser, comme trop souvent la menthe).
Ce n’était que les mises en bouches. Juste avant d’ailleurs, l’apéro avait été accompagné d’allumettes feuilletées avec du pavot et du sésame : une pâte feuilletée aérienne, sans la moindre trace de gras (sur les doigts ou au goût, je suis pas chimiste et je suis sûr qu’en fait il y a du beurre dedans) ou de pesanteur. Tiens d’ailleurs, aussi des feuilletés parfaits et légers à Venise, au café Rizzardini.
Puisqu’on parle des extras, les mignardises était à pleurer : autour d’un macaron fraise, très couleur fraise, léger aussi, il y avait trois framboises sur un biscuit pistache qui étaient comme une ode à la pâtisserie française, moelleux, onctueux et savoureux, avec peu de sucre et peu de gras ; et une panna cotta dans un petit pot avec des fraises des bois sur le dessus, parfaitement régressif avec son mascarpone dedans, et en même temps pas lourd du tout (faut dire que c’est servi en portion mignardise – mais j’en connais qui en profitent pour ne pas alléger leurs recettes).
Bon, mais les trucs qui figurent sur l’addition ? Il y en a d’abord pour lesquels on paye beaucoup, beaucoup trop : la carte des vins est sympathique et classique, à part cette colonne à droite avec des prix qui doivent être en lire ou quelque chose comme ça. Ca dit 200 pour un coteau du Languedoc, rien en-dessous de 100. La Romanée Conti émarge à 6000. Un verre de Vosne-Romanée à 26. Pas cher si c’est des lires. Dans le doute néanmoins, et n’osant pas demander, on a juste prix un verre de blanc du Languedoc et de l’eau qui pique.
Perfection et légèreté toujours avec la salade de homard aux pêches : un homard ferme et savoureux, rouge et blanc, cette résistance sous la dent, ces belles pêches blanches fraîchement coupées qui, si elles sont venus d’une serre chilienne, ont dû venir drôlement vite. Et une petite rémoulade avec les pattes et les pinces : quand la mayonnaise devient pure onctuosité, liant.
Un cannelloni de morilles et d’écrevisses, réduction de vin jaune et jus de veau. On ne sent pas beaucoup l’écrevisse, sauf quand on mange celle qui décore l’assiette, mais elle apporte de la légèreté au plat. Le jus de veau confirme qu’on est dans une grande maison, intense et doux mais sans âcreté ni amertume, et toujours sans richesse dispendieuse. La découpe maitrisée des morceaux dans le cannelloni participe d’une cuisson parfaite et d’une mâche qui laisse se développer les saveurs de la morille enrobée par le veau et la pâte.
En plat, passons sur un ris de veau un peu surcuit (non c’est pas moi qui ai un problème – c’est souvent trop cuit même dans les grandes maisons, sans doute parce que ça veut mieux que pas assez et l’à-point de cuisson sur le veau et la volaille est toujours à quelques secondes près, et varie d’un morceau à l’autre) avec des légumes de saison et le même jus de veau.
Le pigeonneau est lui présenté dans une assiette carrée, une diagonale dessinée avec de l’hydromel, et qui définit une superbe et simple symétrie : une pastilla de cuisse en forme de cannelloni. A chaque bout, un disque de navet caramélisé et un suprême. La pastilla comme le navet sont directement importés de feu Lucas-Carton. La pastilla surtout, croustillante autour et tiède dedans, le foie gras liant les morceaux de cuisse, est un très grand moment.
D’où vient alors notre désintérêt ? A ce stade, nous décidons que, même si tout était parfait, nous n’avons qu’une envie : nous en aller, nous encanailler en somme. Nous ne commandons pas de desserts (mais on nous offre les mignardises quand même, et tant mieux), nous partons – légers, contents, mais aussi contents de partir, et sans envie de revenir si ce n’est pour prendre d’autres leçons. Pour apprendre, la cuisine de Robert doit être une des meilleures aujourd’hui. Pour un cuisinier, je veux dire. Pour le reste, elle semble parfaitement à la hauteur de son standing, une cuisine de luxe qu’on pourrait manger tous les jours. Mais pas de grand spectacle, pas d’éblouissement.
Je sais maintenant de quoi Lucas-Carton était composé en 2003 : du génie pétillant de Senderens et de la rigueur, de l’académisme superbe de Frédéric Robert. Je me surprends même à imaginer que la combinaison des talents dans la cuisine de l’Archestrate, que je n’ai pas connue, il y a vingt ans, devait participer du même genre d’alchimie.
Dans les restaurants parisiens, pour moi, la recherche de la nouvelle star continue.
vendredi 18 mai 2007
Parfaite et Grande Cascade
à 11:20
Libellés : En français, Restaurants
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