vendredi 27 juillet 2007

Michel Rostang: vrai festin (fr)



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Il y a des restaurants qui vous donnent l'impression que vous n'aviez jamais "vraiment mangé" avant d'y manger. Par exemple Pacaud et son bar, Passard et ses oignons, Loiseau et sa sauce au vin, Bras et son veau de l'Aubrac. Pas Rostang. Ici, on a plutôt l'impression qu'on en a déjà mangé, il y a longtemps. Trop longtemps. C'est un de mes restaurants préférés.

Le gratin dauphinois (ici la très classique recette), par exemple, servi en accompagnement de plusieurs plats. Il est ce que certains critiques n'hésiteraient pas à qualifier de décadent, parce qu'il est plein de crème et de pommes de terre fondantes. Il ne prétend même pas être si précisément cuit qu'il devrait être servi à l'assiette, seulement à son meilleur pour quelques minutes. Non, ce restaurant de grand luxe le présente dans un grand plat ovale et orange, le même pour tout le monde, on se ressert, ou on se fait resservir plutôt, autant qu'on veut. Il y a des perles de beurre dans la sauce crémée, des patates fondantes et gouteuses. Ce n'est pas une cuisine qui appelle à la comparaison -- juste à en profiter. C'est une cuisine qui ne s'intéresse pas beaucoup à la révolution culinaire des trente dernières années. Elle est juste immensément satisfaisante.

En mangeant chez Rostang, on comprend que Bocuse est, ou a été, un chef moderne, à la recherche de goûts clairs, de la mise en valeur des ingrédients nus. Les produits chez Rostang sont de grande qualité, parfois exceptionnelle comme le homard. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit, il s'agit de la préparation, de la cuisine de Rostang -- "l'art de transformer les produits en joie", dit Guy Savoy. C'est un cuisine généreuse qui, si j'ose dire, vous (me) fait sentir aimé, soigné. Et l'impression est renforcée par le service chaleureux et professionel, et la carte des vins qui est à l'image du reste: classique, maîtrisée, accessible en goût sinon en prix.

Ce n'est pas qu'il n'y ait ni nouveauté ni surprises chez Rostang: j'ai toujours eu des plats inattendus et originaux. Mais c'est plus comme explorer une forêt qu'on connaît déjà, varier les points de vues, les saisons, les heures de la journée, que de partir à la découverte de territoires inexplorés.

Si Rostang ne semble pas s'intéresser à la modernité culinaire, ses plats démontrent néanmoins qu'il en est tout-à-fait conscient (de la modernité).

Les mises en bouches de ce déjeuner du 13 juillet 2007 par exemple, constituaient un interprétation contemporaine et chic, mais littérale, d'un buffet campagnard, d'un apéro au bistrot. Il y avait un petit club sandwich à la rillette de sardine: une tartine de rillette donc, mais sophistiqué en remplaçant le porc par la sardine et en adaptant sa taille à l'exercice. Et puis une saucisse avec du foie gras dedans, un peu trop cuite, un peu de fromage rapé dessus. Enfin, une cuillérée de salade de betteraves, sans intérêt gustatif si ce n'est comme rince-bouche, mais amusante parce qu'on peut manger la cuillère elle-même, un espèce de tuile.

Dans son répertoire de techniques et de recettes, où les sauces sont riches, les portions énormes, les plats principaux carnassiers (même quand c'est du poisson), les viandes grasses, et les desserts sucrés, Rostang décline ou explore des combinaisons qui dépendent du marché, de la saisons, du temps et du client, toujours avec un goût très sûr. Elles ne sont probablement pas inédites, mais le répertoire est suffisamment large pour qu'une partition différente soit jouée à chaque fois.

L'entrée du jour était une belle terrine de raie, avec des haricots verts dedans. Deux belles tranches dans l'assiette, une debout, une allongée. La chair du poisson est emiettée (pas mixée) ce qui conserve sa mache. Des asperges verts, deux minuscules girolles marinées, une mini-courgette coupée en deux font l'accompagnement, avec une belle tranche de pain au levain grillé, de Poujauran. Une épaisse vinaigrette à la Savora bien emulsionnée est versée dans mon assiette. Ce n'est pas que pour montrer que le chef est facétieux: c'est aussi un accord très équilibré et efficace avec le poisson, les légumes et le pain, texture, saveurs, odeurs et temps de diffusion en bouche se conjuguent différement. En somme, ça met bien en appétit.

Ca tombe bien. Sauce moutarde encore, mais à l'ancienne cette fois, avec les graines, pour accompagner la tarte fine de rognons et tomate. Michel, un des maîtres d'hotels, pilier de la maison, un gars de Saulieu, me cligne de l'oeil que c'est une "pizza rognon". Un demi-rognon entier, grillé, charnu, appétissant, est posé sur une tarte feuilletée de tomates fraiches. Cachés au creux du rognon, entre la viande et la tarte, il y a des pois et des fèves. Et donc le susmentionné gratin dauphinois. Ne soyez pas effrayé si je vous dis que j'ai pris des cuillères avec de la viande, de la tarte, des légumes, de la sauce moutarde et du gratin dauphinois crémeux. Si bon...

Ensuite un mille-feuille, un gros bien sûr, là encore très précis et un peu rustique, avec sa pâte feuilletée bien gonflée et taillée grossièrement. UNe gelée de rose colorée en bleu tapisse l'assiette, des fraises des bois sur le dessus de l'édifice.

Mais la grosse impression du dessert chez Rostang, c'est les mignardises (photo). Sur le plateau en métal forgé figurant quelque aguichante naïade, il y a à peu près tout le répertoire de la patisserie françaice en petit, ou pas tant que ça. Et pas en version allégée, non. La version délicieuse, avec le beurre et le sucre et la crème. Pêle-mêle, je me souviens: cannelé, baba au rhum (vraiment), caramel au beurre salé de chez Henri Roux à Quiberon, nougat, calisson, tartelette à la fraise, au chocolat, lunette, petites truffes au chocolat, guimauve, chou à la crème, financier, groseilles au sucre... Michel en emballe une série dans une boite pour mon hélas absente bien-aimée. Elle n'était pas fâchée, quelques heures plus tard, de les manger.

Un Gewurtzaminer vendanges tardives 2000 de chez Limbach, doux et parfaitement équilibré, commençait ce repas, suivi de deux verres de Macon blanc 2004 de chez Lafon, très bon accord avec le poisson et surtout avec la viande. Je n'ai été facturé qu'un seul des deux verres de blanc, ayant renvoyé le Bourggogne rouge proposé avec les rognons, qui ne faisait pas le poids face à la sauce moutarde. J'ai aussi bu de cette eau minérale qui, parait-il, est mentionné par Jules César dans La Guerre des Gaules, et qui est en tous cas encore plus fine et moins salée que la Chateldon.

Rostang, c'est Jurassic Park: un restaurant d'un autre temps, et pourtant bien vivant, et impressionant. Même son décor chargé, ses lambris sur les murs et sa collection de bibelots, participent à cette qualité. Au regard des critères contemporains de la critique gastronomique, c'est-à-dire la qualité exceptionnelle des ingrédients, de la cuisson et de l'assaisonnement, et l'innovation, Rostang n'est pas le meilleur. Pourtant, je n'ai jamais été déçu chez Rostang: c'était toujours délicieux, joyeux, amical. Tout est fait pour le plaisir du client, et on n'hésite pas à vous préparer, si c'est votre souhait, des accompagnements totalement hors menu.

C'est l'endroit où je célébrerais un heureux évènements avec les gens que j'aime, pourvu qu'ils soient gourmands et ne s'attendent pas à un repas léger.

Pourvu aussi qu'un d'entre nous au moins puisse payer. J'ai payé 108€ pour ce repas, sur la base du menu déjeuner à 79€. Un deal d'enfer si on compare aux prix à la carte.

Le restaurant ne ferme que le 3 août, donc ce sera un des seuls gastros ouverts à Paris la semaine avant.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Pour ceux qui aiment la cuisine du Chef Michel Rostang, vous pouvez des à present voir des photos haute résolution du restaurant et des plats proposés:
http://michelrostang.abemadi.com