mardi 26 février 2008

Olivier Roellinger, Cancale



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Roellinger, à mon goût, présente l’accord parfait entre une cuisine délicieuse et une cuisine intelligente, innovante, et qui raconte une histoire.

L’histoire, c’est d’abord celle du chef lui-même, telle qu’elle est amplement racontée dans les journaux, le films, les émissions: c’est celle d’un étudiant en chimie, peut-être pas très content de sa vie, agressé “à la Orange Mécanique”, dit-il maintenant, un soir sous les remparts de Saint-Malo. Pendant un année, il ne savait pas si il remarcherait jamais, et ce choc l’a mené à repenser sa vie. Une fois rétabli, il ouvre un restaurant dans la maison de sa maman pour recréer l’ambiance qui y existait quand il était enfants, quand son père était le grand médecin de Cancale et leur maison un haut lieu de la société locale.

Ca fait un restaurant qui n’est comme aucun autre. C’est littéralement la maison de quelqu’un, une maison bourgeoise et familiale au coeur de Cancale. Pas de facade glorieuse, d’enseigne lumineuse: chez Roeliinger, on sonne à la porte après avoir poussé le portail et traversé la cour. Mme Roellinger, ou Rodolphe le maître d’hôtel viennent vous ouvrir et vous souhaitent la bienvenue.

(Un dessert au café. Ils l’appellent “de M. de la Merveille”, du nom de celui qui a introduit le café en France)

Roellinger, c’est surtout un des meilleurs restaurants de France. Il utilise les meilleurs produits, en particulier bien sûr ceux de la mer toute proche, qui sont merveilleusement frais, et pour la préparation desquels il peut même utiliser de l’eau de mer, de la vraie. Les recette sont en même temps accessibles, parfaitement finalisées, subtiles et incroyablement complexes.

C’est avant tout l’histoire de la région telle qu’il la voit, que Roellinger raconte. C’est une histoire de voyageurs de Cancale et de Saint-Malo, qui ont parcouru le monde, découvert des contrées lointaines, et ont rapporté des saveurs nouvelles comme les tomates, le café, les épices. Les Maisons de Bricourt (i.e. celles de Roellinger), en ce sens, sont l'extrémité occidentale de la route des Indes.

Parfaitement emblématique de ce style était la barbue au kumquat confit, un plat assez semblable à celui qu’Atahan Tuzel discutait récemment dans Gastroville. Il y a d’abord la cuisson parfaite d’un poisson parfait, qui souligne le goût caractéristique de la Barbue. Ca ressemble à du Turbot, mais sa chair est plus ferme et son goût a une petite amertume caractéristique.

Il y a ensuite la complexité incroyable de la composition de ce plat. En fait, ce n’est incroyable que parce que cette complexité ne se sent pas en bouche. A goûter, c’est l’évidence même, délicieux et équilibré. La Barbue a une croûte de sésame et de pavot. Elle est servie avec un sirop de kumquat et du kumquat confit, une sauce au curcuma, des lanières de peau de courgettes et du soja germé. Et ça marche! C’est le plat de poisson parfait, et même plus que parfait, poussant la barbue au delà de son meilleur. C’est un poisson des mers froides qui rencontre des goûts du soleil, heureux comme un suédois sur la côte d’azur, découvrant le soleil et y exposant sa peau d’albâtre.

Bouillon d'automne, petits ormeaux, foie gras

Autre grand moment: le homard au cacao et au vin de Xérès, “dans l’esprit du XIXème siècle”. Il y a, bien sûr, un homard de première qualité, chassé il y a peu, très ferme et très goûteux. Mais là encore, il se dépasse lui-même grâce au talent et à la délicatesse de Roellinger. Roellinger est le saucier de son restaurant. Il finalise effectivement toutes les assiettes, et est donc directement responsabe de chacune, d’autant plus que les sauces sont la pierre angulaire de son style (ce en quoi, d’ailleurs, la cuisine de Roellinger est très traditionnelle).

Les plats de Roellinger ont la subtilité et la complexité des grands vins. Comme eux, ils réalisent une unité improbable et parfait entre divers goûts et parfums. Pour ce homard, la poudre de cacao et a douceur du vin n’écrasent pas les fragrances iodées du crustacé. Il prolongent au contraire l’effet de la texture, serré, légèrement fibreuse, mais juteuse tout de même du homard, grâce à une sauce parfaite et à des légumes d’accompagnements qui servent exactement le propos, transitions en goût comme en texture.

Et de fait, malgré un sommelier intéressant (le frère de celui de Bras), les vins jouent un rôle secondaire chez Roellinger. Il y en a des suprenant, inattendus, il y a aussi les grandes stars habituelles, dans une carte des vins qui n’est pas trop longue, et les conseils du sommelier sont toujours avisés, ce qui est déjà une performance avec une cuisine comme celle-ci. Mais il ne faut pas s’attendre à la transfiguration mutuelle des vins par les plats, comme chez Senderens ou chez Winkler par exemple. On peut faire un repas à l’eau chez Roellinger sans rater grand’chose.

(Des assiettes de fromage qui sont plus que des assiettes de fromage)

Une autre chose formidable avec Roellinger, c’est que les repas sont parfaits d’un bout à l’autre, entièrement satisfaisants, bien composés, énormes et pourtant pas excessifs. Il y a le meilleur café que je connaisse et des mises en bouche souvent éblouissantes. Mêmes les mignardises sont stylistiquement cohérentes: des cubes servis dans une boîte à épices, chocolat/gingembre, chocolat blanc/citron, marshmallows à la fleur d’oranger... Même les cigares sont choisis et traités avec le même soin que la nourriture, donnant le même sentiment de brillante simplicité.

Agneau de l'aubrac au Tamarin

Il y avait aussi des maquereaux au feu de bois en amuses-bouches, magiques, et un remarquable Samousa d’andouille au Curry, le curry transfigurant la charcuterie bretonne, lui donnant de la durée et de la subtilité.

Roellinger est, en un sens, un restaurant français très traditionnel. D’abord parce que l’histoire de la cuisine française est précisément faite de cette intégration maîtrisée et personnelle de produits et de techniques d’ailleurs. C’est sa grandeur et son identité. Mais aussi, en un sens plus large, parce que le restaurant en France, traditionnellement, est le reflet d’un mode de vie.

(Variation sur Saint-Pierre cru: mariné au gingembre, avec de la carotte, de la mangue verte, un trait de sauce au gingembre, un peu de “vinaigre celtique” - une réduction de cidre et de pomme)

Le restaurant en France, ce n’est pas seulement un endroit où on mange, où on sort, où on drague. C’est une part intégrante de notre culture au sens le plus fondamental. Il s’explique à la lumière de la relation des gens au monde dans lequel ils vivent, à la façon dont ils vivent leur vie (voyez le livre de Meneau, organisé selon les fêtes de l’années), les structures sociales, les hiérarchies... Avec Roellinger et quelques autres, ce pan de la culture se porte bien.

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