mardi 25 septembre 2007

L'Ambroisie: délicieux et désespéré

Tourte de canard sauvage -- photo Gastroville
The English version is here.

C'est encore un commentaire sur le style de Pacaud, suite aux commentaires de Steve Plotnicki sur le post à propos des meilleurs restaurants parisiens: “S’il n’en reste qu’un” (voir aussi Souvenirs d'Ambroisie).

Steve pense qu'il s'ennuie à l'Ambroisie parce que le restaurant est coincé dans le temps à l'époque de la nouvelle cuisine triomphante. Je crois que la vraie raison est qu'il y a quelque chose d'intrinsèquement triste dans le restaurant lui-même, et dans la personne de son chef.

Nous pouvons convenir de la cohérence de l'expérience: le décor, la cuisine, le service.

Je me réfère ici au film sur Pacaud: “Les secrets de cuisine de l’Ambroisie”. Y sont entremêlés des scènes de la vie du restaurant et des plans fixes de Pacaud, assis dans son sombre appartement à l'étage, commentant les vieilles photos et la lettre d'encouragement de la mère Brazier qu'il garde dans une boite à chaussure.
Photo Michael Namikas)
Le petit bonhomme, rablé, pas commode, est souvent au bord des larmes dans ce récit. Petit garçon, en Bretagne, il cuisinait souvent lui-même pour essayer d'apaiser les tensions domestiques. Ensuite, il a été abandonné et s'est retrouvé dans un orphelinat près de Lyon. Un dimanche, il monte avec d'autres orphelins au Col de la Luère, chez la Mère Brazier, pour faire la plonge. "J'suis jamais redescendu" dit-il. (Photo Pierre Matsuo)

Comme tout le monde, il l'appelait "la mère". Avec son premier salaire, il voulait aller chez le coiffeur, mais il avait pas assez. Elle a complété.
Quand il est parti, il voulait être prof de gym. Mais la mère, elle lui a écrit une lettre: il ferait ce qu'il voudrait bien sûr, mais elle trouvait qu'il avait "un beau métier". Et puis il a rencontré Claude Peyrot au Vivarois -- un vrai dépressif, lui, et un vrai génie. La nouvelle cuisine en pleine explosion, en pleine invention, en pleine découverte, en pleine vérité. D'abord volontaire dans la cuisine ("les artichauts, je sais les tourner", dit-il pour convaincre le grand chef), il finit par faire "tourner" toute la cuisine. Quand il part pour ouvrir son propre restaurant, Peyrot ne garde pas ses trois étoiles longtemps (bar, fenouil et safran, photo lxt).

Ce petit dur jour toute sa vie avec chaque plat qu'il envoie. La cuisine, c'est le salut pour lui. Il y trouve des vérités éternelles. On ne peut pas compter sur les parents, on ne peut même pas les aider, on est obligé d'abandonner les parents adoptifs (Brazier et Peyrot), mais il y un élément stable dans le monde: comment se procurer et tirer le meilleur de chaque ingrédient. C'est d'ailleurs d'une stabilité limitée. Il faut recommencer à chaque fois, improviser, s'adapter. Mais bon an mal an, ça marche. Il faut d'abord chercher les meilleurs produits, les transporter et les manier avec soin, les servir au meilleur moment, les préparer le plus tôt possible, etc. Pacaud forever: topinambours, truffe, jus de pigeon -- c'est même pas une recette! (le pigeon et le feuilleté, photos MobyP)

Dans le film, il explique comme il aime faire les gnocchis. Ça le calme, parce qu'il sait exactement comment ça va se passer et combien de temps ça va prendre.

Le résultat, ce me semble, est une cuisine dont le seul but est la maximisation de l'expérience sensuelle qu'apporte chaque ingrédient. Les accords, les combinaisons, ne sont que des instruments qui servent cette fin. Le reste, je crois que ça ne l'intéresse pas. A commencer par l'innovation, la nouveauté, l'esprit du temps. Il dit dans le film qu'on n'invente jamais vraiment, on se contente de redécouvir, et il cite l'exemple des figues au fenouil, qu'il croyait avoir inventé et qu'il a trouvé dans un livre de recettes servies à la table de Louis XIV.

Je suis certain qu'il ne rejette pas pour autant l'innovation, si elle sert ce but de maximisation sensuelle. Il dit qu'il ne fait plus de risotto depuis qu'il a goûté celui de son copain italien: il ne fera jamais aussi bien, pense-t-il. Sans doute adopterait-il des méthodes de cuisson sous-vide si il pensait qu'elles donnent de meilleurs résultats dans cette perspective.

Est-ce que maximiser l'impact sensuel d'un produit est sa "vérité"? De toute évidence, il y a bien des réponses alternatives, mais celle-là est plutôt convaincante, non seulement pour l'esprit, mais surtout pour le palais.
C'est qui le pigeon maintenant?

Pourtant, le refus de tout autre chose que cette maximisation a quelque chose de triste parce qu'il ignore toutes les autres bonnes choses de la vie et de la nourriture. Qui plus est, parce que Pacaud n'est intéressé qu'é cette forme de perfection qui dépend au plus haut point d'un soin extrême apporté à l'exécution, tout repas imparfait à l'Ambroisie (et ils sont rares et encore admirables techniquement), passe totalement à côté de son sujet.

Comme ils disent dans le Michelin, dans un trois étoiles, on mange "toujours très bien, parfois merveilleusement". On peut dire que l'Ambroisie ets le meilleur restaurant du Monde, au sens où personne ne fait une cuisine plus intense que Pacaud. Mais ça ne vaut le coup que si c'est stupéfiant, que si ça se passe de commentaires (oups!), que si ça donne un sentiment de vérité absolue.
Le "feuilleté belle humeur": une truffe, une tranche de foie gras dedans, de la pâte feuilletée autour, une sauce aux pelures de truffe en-dessous. Amen.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Passionnant ! Je ne connaissais pas l'Ambroisie et encore moins son chef. Je m'en souviendrais