mardi 10 avril 2007

Parsifal à Pâques et à Munich

Ici, en Allemagne, et plus encore en Bavière, on ne rigole pas avec Pâques: c'est les œufs en chocolat et Parsifal. Peut-être même encore plus Parsifal. C'était le cas ce 1er avril, (et le jeudi d'après, veille du vendredi saint, et le dimanche de Pâques).

Ce qui me frappe encore et toujours, quand on joue Wagner en Bavière, c'est la familiarité de tout le monde, et avant tout des musiciens, avec cette musique. Partout ailleurs dans le monde, enfin là où je suis allé en tous cas, il y a quelque chose d'emprunté, de rigide, de cireux dans la façon dont on joue Wagner. Pourquoi est-ce si long? Pourquoi ça nous parle pas? Pourquoi c'est réservé à une secte d'excités?

En parlant de ça, justement, on fustige dans Diapason de ce mois-ci Kent Nagano comme "anti-wagnérien", à propos de son Lohengrin en DVD. Il dirigeait justement ce Parsifal, et je l'ai effectivement trouvé anti-wagnérien dans le meilleur sens du terme: sans emphase, sans lourdeur, avec une attention aux chanteurs, pour leur laisser la possibilité de chanter, de phraser, plutôt que de brailler. Et aussi avec des égards pour la polyphonie, la subtilité de la composition, les transformations de thèmes, leur passage d'un pupitre à l'autre, et puis l'unité de l'ensemble.

L'attention aux chanteurs est particulièrement soutenue pour les premiers et deuxièmes écuyers, jouées et chantés par de petits garçons du Tölzer Knabenchor, et il y a quelque chose de très touchant et de très en phase avec l'esprit de l'œuvre, dans la sollicitude de tous, dans la fosse, sur la scène, et dans la salle, au moment où ces petits bouts de choux jouent et chantent du Wagner grandeur nature, face à 120 musiciens dans l'orchestre et 1500 personnes en face.

A part ça, la distribution est dominée par Nikolai Schukoff en Parsifal, qui joue à merveille un joyeux abruti sauvage, un gars sans filtre, habillé de peau de mouton, arrivant sur scène comme Tarzan chez Cheeta (je veux dire au bout d'une corde), ne comprenant parfaitement rien mais vivant tout à fond. Il a une jolie voix barytonante et ne donne pas l'impression de faiblir, d'un bout à l'autre. John Tomlinson campe, comme d'habitude, un Gurnemanz solide, dramatiquement crédible, maitrisant son texte, et à la grosse voix pas jolie. Ca marche bien.

La mise en scène de Konwitschny, comme déjà dans son Tristan, témoigne aussi de cette familiarité avec l'œuvre, de son dialogue intime avec. Et aussi d'un espèce de matérialisme incorrigible dont on ne peut s'empêcher de penser qu'il vient d'Allemagne de l'est. Ainsi Amfortas, tout comme Klingsor, ont-ils leur blessure à l'entrejambe, sanguinolent et avec un slip en drapé sous leur gros manteau noir de seigneur, comme un Jésus (deux en fait) exhibitionniste et crucifié par le milieu. Donc, si ça n'était pas clair, Konwitschny vous le confirme : la blessure d'Amfortas, c'est le désir sexuel, qui lui rend l'éternité et la contemplation douloureuses.

En fait, cette idée un peu grossière, quoiqu'exacte, est néanmoins enrichie par le fait que Parsifal, lui, reçoit effectivement de la lance une blessure au côté à la fin du second acte. Klingsor l'attaque, et le signe magique que fait Parsifal, qui fait reculer Klingsor et s'effondrer son paradis artificiel, c'est d'encaisser cette blessure. De prendre cette douleur sur lui, et en la sublimant donc, parce que lui ne l'a pas pris au siège de sa virilité, mais au flanc.

L'interprétation du mythe est plus généralement assez peu mystique. Le décor est ostensiblement fait en papier, avec des carreaux et des vagues crayonnages dessus. C'est, m'a-t-il semblé, le monde des chevaliers du Graal, un monde de religieux, c'est à-dire un monde: 1- qui est manifestement créé, fabriqué et 2- qui, parce qu'il est vu comme cette construction de papier, est assez austère et triste.

Dans ce monde là, le premier office du Graal voit s'ouvrir l'intérieur d'un grand arbre en papier mâché (ou en kleenex?). Sur fonds de jolies imageries catholiques, une belle vierge bien grasse et bien blanche (joué par la même que Kundry, décidément seule trace de féminité dans ce monde là, et ajoutant la vierge mère à la servante et à la séductrice) et deux angelots se révèlent. On n'a pas de mal à croire que c'est cette irruption de couleurs, de vie et de chair qui maintient en vie ces bonshommes tout gris dans leur monde tout gris de croyants.

On n'a pas de mal non plus à croire que c'est, pour Amfortas, qui a connu la femme en vrai, plus un supplice qu'autre chose. Au moment de l'office, la foule des tous gris est dans une grande pièce à plafond bas, et éclairée par le bas. Ils obligent Amfortas le blessé à sortir sur le toit, où il fait tout noir, pour faire apparaître la vierge qui le torture.

Mais au troisième, l'office du Graal par Parsifal n'a plus aucune imagerie, aucun effet spécial. Même plus de vin ni d'ostie. C'est juste une foule qui s'agglomère autour de Parsifal et de la lance. On ne le voit plus. Leur communion est devenue toute intérieure, n'est plus idolâtre. A peine religieuse. Tout juste a-t-on droit, non à la colombe elle-même, mais à un carton blanc descendu des cintres, avec une silhouette de colombe (ou de tourterelle?). En somme, ce monde qui était déjà sérieusement austère, est encore dépouillé de couleurs et d'images, va plus loin dans l'ascèse.

J'ai dit que Klingsor était le double d'Amfortas (même tenue, même blessure). Son château est celui du Graal, (image) sauf qu'il y a des papiers de couleur un peu partout qui pendent sur des fils. C'est sa magie à lui: plus diffuse que le Graal, et surtout permanente. Mais il adore quand même une statue de la vierge, que Kundry séductrice brandira pour essayer de convaincre Parsifal de la posséder juste une heure, et que le jeune homme brisera dans la combat (la statue).

Pour les amateurs, les filles-fleurs sont délicieusement gracieuses et sexy, en petites tenues de soie et lancent des oreillers en l'air. Il y en a pour tous les goûts, comme dans le mil et tre, y compris mais pas seulement la grassouille pour l'hiver (c'est quand même l'opéra).

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