mardi 26 mai 2009

Pour en finir avec le poulet rôti (et avec l’Ami Louis)

C’est vraiment juste une façon de parler : je n’ai aucune intention d’en finir avec ce chef-d’œuvre de civilisation. Au contraire, continuons. Mais une visite au fameux L’Ami Louis, rue du Vert-Bois dans le 3ème arrondissement, m’a donné l’envie de revenir sur le poulet rôti, qui est la star de ce restaurant. Comment est-il ? Il n’est pas mal. Comme tout ce qu’on mange à l’Ami Louis, ça part sur des ingrédients de qualité absolument exceptionnelle : le poulet est un coucou de Rennes, comme chez Passard à l’Arpège, et puis ici et là on voit des escargots ou des asperges tellement gros qu’on se demande si on n’hallucine pas, des fruits de compétition posés sur un buffet, etc… quant aux préparations, elle sont simples, précises, et sans finesse.
De L'Ami Louis

En somme, pour ceux qui pensent que la cuisine, ce n’est que des ingrédients et des techniques rudimentaires, l’Ami Louis est le sommet du restaurant. Enfin, il faudrait ajouter: "pour ceux qui pensent que la cuisine, c’est des ingrédients en grande quantité", parce que l’autre caractéristique de l’Ami Louis, ce sont des portions qui font passer Gargantua pour un curiste. Si l’on veut bien prendre cette quantité et cette qualité en compte (je sais, peu de gens le veulent),  les prix à l’Ami Louis ne sont pas scandaleux, et relèvent d’une marge brute un peu au dessus de deux, à vue de nez (ou d’œil, ou de fourchette, comme vous voulez). Les cris d’orfraie qu’on entend ici et là sur ces prix sont même un peu benêts, à mon humble avis de mec pas contrariant et sans opinion arrêtée.
De L'Ami Louis

Mais revenons à notre sujet : il y a deux principaux problèmes dans la cuisson du poulet. Le premier, le principal, c’est que la poitrine et la cuisse ne cuisent pas le même temps. C’est comme la pointe et la queue de l’asperge. C’est pourquoi on trouve en général le blanc de poulet sec et fade, et on le noie dans des sauces, des jus, des trucs pour compenser. Bien sûr, la qualité du poulet joue aussi un rôle essentiel dans la déroute du blanc, mais le problème fondamental n’est pas résolu par le choix de l’animal : quand le blanc est cuit à point, la cuisse est encore rosée.
De L'Ami Louis

La première réaction à ce drame, c’est de souligner que le poulet rôti est donc une recette absurde. Levez les filets et cuisez-les en papillote ou sous le grill, faîtes de même avec les cuisses, et vous pourrez obtenir une cuisson parfaite des deux (pochés, c’est environ dix minutes de plus pour une cuisse que pour un blanc). Une version moins radicale de cette réponse, c’est le service du poulet rôti en deux services – tiens, comme chez l’Ami Louis. Pendant que vous mangez les blancs qui, si tout va bien, sont tendres et juteux et brillants, les cuisses restent au four et terminent de cuire.
De L'Ami Louis

Mais il en est (j’en ai été, mea culpa) qui veulent qu’un poulet soit rôti entier et du même coup tout parfait à tous les étages. C’est là qu’on rentre dans les stratagèmes : larder la poitrine, la farcir sous la peau, ou brider le poulet à l’ancienne pour la rendre plus épaisse, toutes ces techniques ont le même but : ralentir la cuisson des blancs. Mais ce ne sont que des pis-allers, qui marchent mieux avec des cuissons douces parce qu’alors les blancs sont moins agressés (voyez en particulier le pochage, mais aussi la rôtissoire, j’y reviendrai).

Mais la seule vraie solution pour résoudre ce problème est dans la maîtrise de la cuisson : il faut faire cuire les cuisses plus que les blancs, ce qui vaut dire qu’il faut les montrer plus à la chaleur. Evidemment, si on enfourne un poulet à la chaleur tournante sans y toucher, ça ne risque pas d’arriver, quelque soit le nombre de cierges à Sainte-Rita qu’on allume. Il faut avoir une source de chaleur localisée, et faire bouger son poulet. Ca marche très bien dans un four traditionnel, qui chauffe surtout par le haut et le bas. On met le poulet sur une cuisse, puis sur l’autre, et seulement à la fin, très brièvement, on le pose sur les deux avec les blancs face à la chaleur. C’est la méthode que Christian Constant (le chef) appelle « 1-2-3 ». Une variante pour obtenir une coloration et une cuisson plus régulière est de retourner l’oiseau plus souvent (Ainsi je serai plutôt de l’école 10 min sur une cuisse, 10 sur l’autre, 10 sur la première, 10 sur la seconde, 15 minutes de repos dans l’alu, 7min sur le dos, servez).

Bien sûr il y a aussi l’arrosage (je ne suis pas sûr que ça serve beaucoup mais ça donne l’air d’un pro et l’occasion de se brûler), et l’assaisonnement (trois fois : avant la cuisson, avant le temps de repos, au moment de servir). Une autre variante qui repose sur le même principe est la méthode Passard qui consiste à griller le poulet entier sur le grill (donc en ne présentant les blancs que très peu à la flamme). On peut aussi commencer la cuisson à la vapeur, à l’étouffée, en pochage, et ne s’attaquer à la rôtisserie, toujours asymétrique, que dans un second temps.

J’ai parlé d’un deuxième problème fondamental (quoique je le juge moins essentiel que le premier) : la peau croustillante et dorée. Pour que la peau croustille, il faut bien entendu qu’elle chauffe. Mais contrairement à une croyance répandue, ce qui fait le croustillant, ce n’est pas haute température. C’est le type de chaleur (elle doit être sèche) et le fait que la cuisson dure suffisamment. L’idée qu’il faut rôtir à poulet à haute température pour avoir une belle peau est une imbécilité. Tout ce qu’on obtient, à haute température, c’est une peau brulée et une chair desséchée. Parfois même, le cœur de l’animal reste cru alors que le tour est déjà brulé.

Si il y a encore des lecteurs à ce point de cette chronique, je m’en vais donc les décourager avec un paragraphe de thermodynamique. Il y a en effet trois types de transfert thermique : la convection, c’est quand l’air chaud bouge parce qu’il est chaud et donc transfère de la chaleur ; la conduction, c’est quand ça chauffe par contact avec un truc chaud ; et la radiation, c’est quand un corps chaud émet des radiations qui ne sont pas chaudes mais qui réchauffent ce qu’elles touchent. Un four traditionnel est dit à convection parce que l’air chaud y circule naturellement. La cuisson à la poêle ou dans l’eau est typiquement faite par conduction. Enfin un barbecue cuit essentiellement par radiation, comme vous le voyez quand vous passez votre main au-dessus des braises : si vous la passez vite, nous ne sentez pas de chaleur. Mais si vous la laissez, les rayons chauffent rapidement la surface de votre peau et finalement ouille ouille ouille.

Dans une rôtisserie ou un barbecue, c’est la radiation qui est la plus importante (c’est pour ça qu’on les fait avec des braises et pas des flammes). Comme sur votre main, la radiation chauffe la peau très fort, mais cette chaleur ne pénètre pas beaucoup l’intérieur de la viande (ou du poisson). Du coup l’intérieur cuit doucement (par conduction depuis la surface), et d’autant plus doucement que, le barbecue ou la rôtissoire étant ouverts, l’air chaud s’en va, le transfert par conduction et convection ne se fait presque pas, et donc l’intérieur de la viande est à l’abri de la chaleur. Prends ça dans ta face, Hervé This!

Même dans votre four fermé, il est important de ne pas brusquer la viande, et donc de garder une température raisonnable et surtout de s’assurer que la radiation se fait bien (comme dans le cas du barbecue, glissez votre main et voyez combien de temps elle met à chauffer…). Ou alors une autre façon de ne pas brusquer la viande, c’est de multiplier les temps de repos. Bien sûr, à chaque fois, la viande qui se détend va remouiller votre peau croustillante. Mais en remettant la viande au four, la peau va re-croustiller (et oui, la viande va aussi re-stresser un peu – c’est pour ça que la rôtisserie ouverte est formidable – il n’y a pas besoin d’un temps de repos). Avec cette technique, on peut effectivement utiliser un four à haute température et obtenir à la fois un joli dorage et une viande tendre.

4 commentaires:

lyn a dit…

Pas encore eu le temps de tout lire, mais les photos -- WOW!!! Incroyables! Food porn, indeed. Ça fait baver et donne envie!

Anonyme a dit…

GREAT photos julot. not a big fan of l'ami louis but i love most other restaurants you love (e.g. le cinq gagnaire l'ami jean). sometimes i wonder if we deserve to eat food this good. i'm from hong kong but going to paris next week so i have been searching for restaurant info online, and your name pops up. good job~~ =) btw, have you heard anything about le chateaubriand? i've heard v mixed reviews and don't want to waste my time at a deteriorating restaurant...

gy

Julot-les-pinceaux a dit…

Hi Gy,

Le Chateaubriand is probably the most interesting and the best of the creative French chefs. It is a bistrot experience with incredibly smart food. It's not ingredient driven, but unlike many "modern" restaurants, it is utterly convincing. I'm not a great fan of l'Ami Louis myself, but I think it does exactly what it promises.

To Lyn -- thanks. There are more pictures on my gallert.

Christophe a dit…

Une bonne facon de ne pas brusquer les produits est de travailler a des temperatures tres basses: grace aux sonde termiques nous preparons a la maison del cotes de boeuf de 2,5-3K a 80º au four. Le temps de cuisson est peu etre tres long pour certains (4 ou 5 heures) mais le resultat est magnifique.
Pour une viande bleu il faut chercher 40º- 41º dans la partie la plus epaisse.
Magnifique exposition.
Christophe
www.noselepuedellamarcocina.com