vendredi 5 octobre 2007

Les Elysées du Vernet, deuxième



English version coming soon.

J’y suis retourné, bien sûr, pour voir la rénovation que j’annonçais ici même et prendre des photos cette fois. Deux fois, même. C’était encore meilleur cette fois-ci. La rénovation est très réussie, et l’espace de ce restaurant est vaste et luxueux mais en même temps simple et chaleureux. Le recours à la modernité dans le décor est discret, au service de la convivialité, et l’amusante fresque du fond de la salle a été remplacée par un grand miroir qui ouvre l’espace de manière bienvenue.
La nourriture, elle, est dédiée aux grands amateurs de cuisine, et aux amateurs de grande cuisine. Commençons par la grande star, emblématique de la saison et du style : le pithiviers de gibier. On l’amène au guéridon où on le découpe avec deux couteaux : à dent pour la pate feuilletée, lisse pour les chairs. Les chairs, ce sont des petits légumes, du foie gras, des foies blonds, bruns, et surtout de la poule faisanne, du perdreau et de la grouse. Une fois qu’ils ont taillé les parts, ils ouvrent le capot pour l’appoint d’huile.
Ou plutôt ils soulèvent la pâte feuilletée du dessus pour verser le jus pressé à l’armagnac sur les chairs, sans tremper le croustillant, au miel, de la pâte feuilletée. C’est servi avec ces légumes racines et des fruits que je n’ai même pas pensé à essayer d’identifier en détail. L’intensité du gibier est formidable sans être écœurant ou révulsant, et ça marche très bien avec un Chateauneuf du Pape « Colombis » tout jeune mais qui a bien du caractère – et que Patrice le sommelier a carafé vers 19h30, pour qu’on puisse bien en profiter et parce qu’on lui avait dit qu’on venait pour le Pithiviers.

Dans l’ensemble, c’est une démonstration de la valeur et de l’intérêt de ces plats de tradition, un peu le contraire de ces trucs qu’on trouve dans le frigo des charcutiers et qui donnent une irrépressible envie de jus de légumes frais et de tisanes.

Le chef est un vrai fou de cuisine. Il peut raconter des recettes et des produits pendants des heures (bon, d’accord, des minutes), avec de la lumière dans les yeux, des gestes précis, des descriptions minutieuses (comme cette truffe qu’on passe sous la salamandre « juste le temps que l’humidité remonte à la surface »). C’est un MOF, au vaste savoir et à la régularité sans faille. Mais c'est aussi, fait assez rare parmi les cuisiniers de ce standing, un garçon qui a l'air ravi de faire ce qu'il fait -- il taille ses juliennes de légume lui-même, paraît-il.

Ce grand art, cette grande virtuosité est d’ailleurs démontrée d’emblée. A peine assis et on vous apporte des accras de calamars et de crevettes, qui viennent d’être frits, citronnés de l’intérieur, goûteux, croustillants et fondants. Et puis ils sont servis dans un linge joliment arrangé. Il y a aussi toutes ces verrines qui sont à peu près les mêmes que la dernière fois, mais si bien faites et bien pensées et délicieuses – melon et poivron, araignée/laitue/foie gras/amande, le sorbet de caillé de brebis, huile d’olive des baux de province, zeste de Kumquat et poivre de Sawarma – voir le précédent article pour descriptions et photos.

Patrice le sommelier est aussi un passionné, qui vous choisit des vins « comme pour lui », gourmands, inconnus, pas chers. Entre ces deux-là, un chef de rang qui ressemble à Jason Bourne et André le directeur de la salle, c’est à se demander qui est le plus passionné – ils sont là pour vous faire plaisir, mais sous la forme de partager leur gourmandise avec vous.
Ainsi donc de ces entrées recommandées comme la tranche d’aubergine grillée, copeaux de foie gras cru sur un fonds de pâte feuilleté, une composition superbe, onctueuse et complexe. Il faudrait aussi expliquer la fraîcheur et la sophistication d’un plat de langoustines au pomelos, galette de pois chiches, julienne de légumes croquants (taillée par le chef, donc), un plat où chaque bouchée est différente et pourtant ressemble aux autres. Ou ces simplissimes légumes d' un jardin japonais servis en mise en bouche, d'où ressort un tranche d'épi de maïs parfaitement régressive, avec ses fanes élégamment frites.

Le foie gras proposé en entrée au menu du déjeuner est un pêché majeur. Il est laqué au Banyuls, avec de la figue, de la noix fraîche, quelques petits légumes. Si on devait reprocher quelque chose à cette entrée, c’est d’être, par l’intensité carnée et la quantité, plus un plat principal. Mais c’est très très bon.

J’ai déjà parlé de l’exceptionnel tourteau, mariné aux miel et aux épices – il a gagné une vinaigrette à la truffe pendant l’été (voir les photos dans le post en question). Le caneton, lui, a été remplacé par un pigeonneau parfait, les cuisses confites sont comme un bonbon.
Le menu du déjeuner a pris cinq euros, ce qui reste une affaire exceptionnelle compte-tenu de la qualité, des quantités, et aussi des prix éminemment amicaux des verres de vin. Qui plus est, les desserts sont éblouissants.

Ainsi une coupe de fruits rouges, avec une crème à la vanille et un peu d’huile d’olive est un dessert à ronronner de plaisir, les framboises et les fraises à peine marinées éclatent en bouche, et sont contenues et canalisées par la crème pleine de vanille qui embaume dans la bouche, un peu renforcée par l'huile d'olive et sa légère amertume.

Le mille feuille aux fraises est aussi merveilleux, et son feuilletage (une fois de plus) est hallucinant de légèreté. Vous avez déjà essayé de couper un mille-feuille ? Des fois on y arrive mais c’est pas beau à voir. Mais chez Briffard, la pâte se brise gentiment, immédiatement, tout droit, sous une légère pression du couteau. C’est presque trop facile.
Il faudrait aussi vous dire un mot du Baba au rhum, préparé à la commande pour deux ou plus, coupé en salle comme le pithiviers, arrosé ad libitum, et servi avec un peu de vraie crème pâtissière à l’ancienne, là encore démontrant la valeur et le bien fondé d’une tradition. Et du mille-feuille au chocolat, trop fort pour moi.

Et puis je voudrais aussi vous parler de l’Epoisses, un fromage qui peut être exceptionnel, et qui l’est ici. Il est arrosé d’un Marc de bourgogne « âge inconnu » de chez Drouhin. Et quand je dis arrosé, je ne le dis pas de manière métaphorique, pour dire qu’on vous en sert dans un verre sur le côté. Je dis sur le fromage, dans l’assiette. Cette fameuse alliance du Marc de Bourgogne et de l’Epoisses, avec un Epoisses plâtreux et un marc trop jeune, est essentiellement une agression. Mais avec ce fromage soigneusement choisi et affiné et ce marc de compétition, vieux comme ma belle-mère, c’est un grand moment de civilisation.

Les Elysées, c'est un restaurant entièrement dédié à la magie de la cuisine et du vin. A la limite, c'est plutôt pour les obsédés de cuisine, et la conversation, plus qu'ailleurs, à tendance à porter sur la question. C'est l'expression d'un grand art, d'une infinie maîtrise, qui repose sur des tonnes des techniques et des combinaisons très sophistiquées pour, en fin de compte, paraître simple, évident et délicieux quand on le mange.

Menu du déjeuner, 208€ pour deux avec quatre verres de vin et deux cafés et deux Perrier (à 12€ chacun...ne buvez pas d'eau aux Elysées!). Le soir, les deux demi-entrées, la tourte, le dessert et trois verres par personne pour 190€ par personne.

Plus de photos dans l'ancien post.

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