vendredi 31 août 2007

Guy Savoy, Noël toute l'année (fr)


(Sebastian Straessle et Florence Botel/Guy Savoy)

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Allons tout de suite à l’essentiel : c’est vraiment une menu à 100€. On nous a donné des cartes sans prix, mais identiques à la cartes habituelle du restaurant. Réservation par Internet, une table par déjeuner, mais c'est possible. C’est donc une très bonne affaire, au moins en regard des prix habituels chez Savoy. C’est toujours Savoy quand même, et notre déjeuner pour deux nous a en somme coûté 364€ avec nos trois verres de vin et un café chacun.

Intrinsèquement, la cuisine n’est pas, à mon avis, au niveau des meilleurs restaurants parisiens (L’Arpège, Pierre Gagnaire, L’Ambroisie). Mais l’expérience d’ensemble est une des meilleures qui soient, à Paris ou ailleurs. Un repas chez Savoy, c’est toujours une fête.
(Sebastian Straessle et Florence Botel/Guy Savoy)
Le décor est particulièrement agréable, Wengé, cuir et œuvres d’art. Le toucher des nappes damassées, l’éclairage sophistiqué et discret : d’emblée, tout est fait pour éveiller les sens. Dans la salle où nous étions (le restaurant est organisé en une collection de petites salles), il y avait une grande peinture d’un chapeau de clown, aux couleurs incroyablement joyeuses (vous pouvez le voir dans le fond de la photo ou Hubert découpe le sabodet). Ça n’attire pas le regard, ça ne le fixe même pas, c’est facile à ignorer. Mais ça distille un peu de joie simple dans la pièce, sans rapport avec les nourritures servies.

Le service est incroyablement professionnel et en même temps hautement individualisé – pas seulement au client, mais au serveur aussi, laissant l’individualité de chacun s’exprimer. Eric Mancio, directeur du restaurant et sommelier, est une homme infiniment aimable, hyper-sensible et pourtant simple. Il choisit des vins qui sont comme lui, qui prennent soin de vous, comme le Condrieu incroyablement minéral, comme de l’eau, qui accompagnait merveilleusement notre sabodet ; ou le Muscat vendanges tardives d’Ostertag, intensément doux sans être trop sucré. Le veau, lui, nous fit servi avec un des rouges du Sud-Ouest intenses qui semblent être le nouvel eldorado des sommeliers à la recherche de bons vins et de marges solides.(Guy Savoy, Photo Eric Brissaud/Guy Savoy)

Hubert, le maître d’hôtel allemand, über-allemand même, est une star locale. Il vous proposera toujours de prendre le contrôle de votre repas (et pas seulement de votre commande), vous souhaitant « pon plaizir », et vous amusera gentiment au long du repas de son personnage de clown lubrique qui ne renonce à la nourriture qu’il vous sert qu’à regret. Ce jour-là, il déambulait dans les allées du restaurant, poussant son chariot de dessert et vantant, prétendument à lui-même, ses « fraizes de Ploukastel korchées de soleil ». Show biz, pour sûr, et à son meilleur(Chariot de desserts Photo Laurence Mouton/Guy Savoy).

Pendant tout le repas, il y a toujours une avalanche de petites surprises et d’attentions chez Savoy. Et, étrangement, ça n’est jamais trop. Aussitôt assis, on vous apporte un mini club sandwich au foie gras, qu’on assemble d’abord devant vous avant de vous le tendre directement, de la main à la main. Une multitude d’autres petites bouchées et attentions parsèment le repas, elles aussi souvent données de la main à la main, marshmallows, pains spéciaux, raisins caramélisés. Comme dans peu d’autres endroits, on a ici le sentiment d’être le centre d’attention, une impression qui, paradoxalement, semble partagée, consciemment ou non, par tous les convives dans la pièce.
(Photo Laurence Mouton/Guy Savoy)
D’autres petites attentions et extras comprenaient trois ou quatre amuses-bouches, très bons et pas difficiles à apprécier, et un service de la fameuse soupe d’artichauts à la truffe noire et au parmesan, toast de brioche feuilletée aux champignons sauvages et beurre de truffe (en forme de compensation pour mon amoureuse qui, pour une raison obscure, n’appréciait pas l’idée de manger de la saucisse de tête de cochon). La procession infinie des pré-desserts, desserts, post-desserts et post-cafés s’ajoute aussi à cette liste, culminant dans deux très grands classiques de la maison que sont le sorbet au thé Earl Grey et la lilliputienne portion de tarte fine aux pommes, la meilleure du monde, avec une pâte très fine, de la compote, des tranches très fines, et du sucre, et du beurre. Miam.

Avant les desserts sans fin, il y avait donc un plat hors menu, que j’avais commandé à l’avance : un sabodet (grosse saucisse lyonnaise à base de tête de cochon, donc) avec une salade de pommes de terre. Ne paniquez pas : c’était mon idée, et Savoy offre des plats plus orthodoxes dans une maison comme la sienne (voyez le menu sur son site).

C’était admirable. La saucisse elle-même offre une variété de textures, aucune d’elles n’allant jusqu’à la résistance un peu déplaisante de cartilage. Les pommes de terre adoucissent un goût qui n’est pas spécialement fort en fait, et, en plus de la cuisson parfaite des deux éléments (la saucisse cuite mais sans la sécheresse ni l’âcreté que provoquent la surcuisson de ce type de met, la pomme de terre fondante), la touche « grand restaurant » venait de cette vinaigrette d’herbes qui avait une consistance de sauce au beurre et faisant le lien entre ces textures et ces goûts. Complètement trois-étoiles à mon goût.

Et puis il y avait une autre grande spécialité de la maison : la côte de veau juste rôtie, purée de pommes de terre. J’ai toujours adoré ce plat tel que Savoy le sert : simple, intense et raffiné. Mais, à la différence de ce dont je me souvenais (je n’étais pas venu chez Savoy depuis des années), la cuisson est correcte mais pas parfaite. Enfin, elle est parfaite par endroits, excessive à d’autres. Le jus est liquide et pourtant trop fort, avec un petit goût de brûlé. Et la purée, avec du jus et du beurre dedans, est elle aussi trop riche. Mais prenez un peu des trois ensemble dans une cuillère, et c’est simplement délicieux, l’âcreté du jus compensé par la fadeur de la viande, la sécheresse de la viande compensée par l’onctuosité de la purée.

Et puis c’est toujours un plaisir rare que la découpe et le service en salle, quand c’est fait par des grands professionnels qui le font paraître facile (pas comme au Bistrot des Saveurs).

Leur créneau, c’est délicieux. Votre plaisir, immédiat et entier, on le prend très au sérieux par ici.

Ça ne veut pas dire que c’est un cuisine parfaite, ou digeste, ou qui ne pourrait pas être meilleure. On sentait bien, quelques heures après, qu’on avait beaucoup mangé et beaucoup bu. Mais je reviendrai avec des potes, pour des célébrations onéreuses de toutes sortes. Appeler cet endroit un restaurant ne lui rend pas vraiment justice. C’est plutôt un théâtre, un théâtre gastronomique.

Déjeuner du 7 juin 2007

mercredi 22 août 2007

Les Elysées du Vernet: une très bonne affaire à Paris



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C'est une salle à manger sous une verrière dessinée par Gustave Eiffel. Le temps était changeant ce jour-là, des orte que les passages de nuage créaient des effets de lumière changeants. Linge et argenterie impeccables, même si le décor d'ensemble, avec sa fresque de vignes et son marbre en trompe-l’œil, fait très années 80 chic. Mais la rénovation est en cours pendant le mois d’août, et avec le potentiel de ce toit, une climatisation plus efficace, du linge et de l’argenterie tous neufs, je ne doute pas que ce sera là l’une des plus belles salles de restaurant de la ville. Ça pourrait aussi résulter en une hausse des prix et des notes dans les guides. Ça s’est vu.

On a beaucoup parlé d’Eric Briffard quand il s’est fait éjecter du Plaza au profit de la Ducasse team, fatiguée d’occuper l’ancien restaurant mal pratique de Robuchon. C’était l’époque de la guerre Ducasse-Robuchon, où chacun poussait ses boys sur la scène gastronomique. Ils sont de nouveau copains maintenant, ils ont fait leur petit Yalta à eux.

Or donc Briffard est arrivé en cuisine aux Elysées en 2002, où la poisse a continué pour un moment, culminant avec la perte de la seconde étoile Michelin, dans l’étonnement et l’incompréhension générale. Il a aujourd’hui reconquis cette deuxième étoile, et semble de retour en grâce à en juger par le retour aussi de la troisième Toque Gault&Millau.

Le repas débutait avec une soupe glacée de melon, servie dans un verre, une mousse de poivron rouge sur le dessus, des traces d’épices et de jambon cru. La soupe a des morceaux de melon à parfaite maturité dedans, très doux, et donc une bouchée a les trois textures de la mousse crémeuse, le melon liquide, et le melon solide. Et puis il y a deux températures, parce que la soupe est glacée, mais la mousse est à température ambiante. Soit dit en passant, ceci indique un dessert assemblé à la dernière minute. C’est un bon exemple de l’attention de Briffard aux détails qui font toute la différence. J’oubliais : il y a une alchimie magique entre le goût du melon et celui de la mousse légère de poivron, crémeuse sans être grasse – ça donne de l’épaisseur et de la longueur en bouche au melon. Patrice, le jeune et talentueux sommelier, a sélectionné un amusant vin du Languedoc, 4€ le verre.
Il y avait ensuite une entrée double (mais pas comptable). Dans une coupe à cocktail, une gelée de homard, crème de vin jaune, des petits bouts de homard. C’est bon, très précisément assaisonné, avec un goût très clair. Et puis ça affute les papilles pour le plat suivant : de la chair de tourteau, assemblée en trois cylindres verticaux, avec des tranches de daikon marinées au dessus et en dessous. Comme avec les sashimis, ça contrebalance le goût un peu gras, un peu écœurant du crabe, mais la marinade rend aussi le daikon doux, et cette combinaison d’amertume et de douceur fait vraiment ressortir le goût et la texture du tourteau. Ça allait aussi très bien avec le verre de Chablis de Stéphane Moreau Maudet – 12€ pièce.
Si jamais j’avais pu croire que du crabe, c’est du crabe, ou que Briffard ne savait pas bien les préparer, il y avait ensuite un entremets à base d’araignée de mer. Son goût est plus puissant et plus affuté que celui du tourteau. C’était encore un plat « vertical », servi dans une tasse à café. En bas, une royale de foie gras avec amandes fraîches dedans. Puis une couche de chair d’araignée, et une écume de lait d’amande, un peu d’algues nori sur le dessus. C’est un grand exemple de plat « terre et mer », et c’est aussi une transition entre l’entrée, avec crabe, et le plat principal, avec foie gras. L’araignée joue pour le foie gras le rôle que le daikon jouait pour le tourteau, et le foie gras apporte durée et profondeur au goût puissant de l’araignée. Là encore, il y avait aussi un jeu sur les températures, avec un foie gras tiède et une araignée froide. Une fois encore : délicieux, subtil, très précisément exécuté, et malin.
Le plat principal était une poitrine de canette servie sur du cresson et un « crumble » de pêche et de foie gras. Le chef nous a ajouté des petites girolles et des salsifis. Ledit « crumble » est un cylindre de pêche rôti, avec un disque de foie gras poêlé dessus, des éclats d’amandes fraiches entre les deux. Sur le côté, une salade de cresson et de pêche. Le canard est bien cuit rosé, et bien assaisonné. C’est bien mais sans la magie des autre plats. Je ne sais pas vous, mais je trouve souvent décevants les plats principaux quand les entrées sont formidables, en particulier quand il s’agit du modèle viande rôtie avec des légumes. Et puis, avec les (très bons) girolles et salsifis en plus, le plat partait un peu dans tous les sens. Un peu comme un plat de l’Astrance, qui se serait glissé incognito ;-)

Plus remarquable était le vin biodynamique qui accompagnait ce plat. M. Kreyderweiss, nous dit Patrice, est un vigneron alsacien qui a acheté un vignoble dans l’Hérault pour faire plaisir à sa nouvelle femme. Et de fait, c’est un vin plein de force et de soleil mais aussi très « velours » et capiteux. C’est un vin intensément sensuel et le principal mérite du canard, en cette occasion, est de ne pas le contrarier. Ça s’appelle quelque chose comme Anraton. 8€ le verre, en fait généreusement réapprovisionné plusieurs fois.

Le pré-dessert était le sommet du repas, à mon avis (si c’est pas de la science du contrepoint, après ce temps faible qu’était le canard…) : un sorbet de caillé de brebis avec de l’huile d’olive vanillée, du poivre Sawarma, et des zestes d’orange. Pure douceur, et pourtant peu sucrée, sans graisse, et durant en bouche, probablement grâce à l’huile d’olive. Sur que c’est une bonne idée au départ. Mais ce qui rend le plat exceptionnel, c’est que ça ne pourrait pas marcher avec n’importe quel caillé, n’importe quelle huile d’olive, ou n’importe quelle vanille (essayez, vous verrez…). C’était une démonstration de technique, hautement dépendante du choix des ingrédients, et nécessitant de s’adapter à leurs variations.

On finissait avec un fraisier contemporain, doux et léger : des Maras des bois prise dans une crème fouettée vanillée, entre deux tranches de formidable pâte d’amande. Sur le côté, des pointes d’un coulis fraise-vanille et une quenelle de glace à la pistache fraichement turbinée avec des éclats de pistache dessus. C’était un dessert agréable et léger, pas bouleversant. Mais n’est-il pas justement remarquable qu’il soit encore agréable alors qu’il venait à la fin de ce conséquent repas ?

Le café, le pain vient de la Boulangerie de Monge, et le beurre était de grande classe, semblable à du Bordier en goût et en apparence. André Wawrzyniak, le maître d’hôtel, et un ancien de Jamin, Robuchon puis Guichard. Il a passé un peu de temps chez Meneau à Vézelay après la fermeture de Jamin, et le voici de retour à Paris. C’est un grand professionnel et un homme délicieux, discret et charmant. Il y a des images de la salle avant la rénovation, du chef et de lui ici, avec un échantillon de menu.

J’ai gardé le meilleur pour la fin : c’était le menu du déjeuner à 59€. Avec trois verres de vin, l’eau et le café, ce repas a coûté 94€ par personne. Sérieux.

Déjeuner du 6 juillet 2007

Winkler, Loiseau des montagnes

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Je ne suis pas allé chez Winkler plus tôt pour deux raisons : les mauvaises critiques, selon lesquelles c'était le moins bon des trois étoiles allemands, certains disant même qu'il ne les méritait pas; et les photos sur son site web qui donnent l'impression d'une immense forteresse pour milliardaires au sommet d'une falaise, avec au moins un héliport et peut-être même une piste d'atterissage privée pour Bill Gates et le sultan du Quatar.

Il suffit d'y aller pour dissiper la seconde impression. La maison de Winkler n'est aucune de ces maisons-là, pourtant voisines (oui, j'ai pris trop de photos):



C'est une grosse maison au milieu d'un petit village, un ancien relais de poste au pied des alpes bavaroises. Il y a un petit jardin derrière où isl font pousser leurs herbes aromatiques, et à l'intérieur, c'est plutôt chic à la façon Bocuse qu'à la façon Hotel de Paris : plus de peinture que de matières nobles.

En ce qui concerne les critiques, et comme je l'écrivais à propos de Bocuse, c'est toujours une bonne histoire que celle des anciennes gloires déchues et surestimées. Mais, étrangement, l'unanimité parmi les critiques me laisse en général dubitatif, suggérant que l'histoire qu'on raconte est en fait, plus importante que la réalité à laquelle elle réfère.

Winkler appelle sa cuisine "cuisine vitale", ce qui en fait un espèce de Guérard alpin, même si son sytle rappelle en somme plutôt celui de Loiseau et sa franchise que celui de Guérard et sa finesse. Les amuse-bouches ont démonstré, en tous cas, que cette prétention à la Légèreté n'était pas sans fondement. Un gaspacho froid, même pas rouge, était quasiment aqueux. Il était pur goût, sans trace de texture ou de graisse d'aucune sorte, et intensément bienvenu et rafraichissant sur cette terrasse ensoleillée, une boisson fraiche et sapide. Une mousse de choufleur et Madère était aussi simple de composition et intense de goût, et une petite bouchée de hareng mariné restait dans le même ton pour cloturer ce trio de mise en bouche. Le ton était donc donné: une glorification de l'ingrédient, discrère mais pas minimaliste, une espèce de simplification et de concentration des savoirs anciens. C'est un peu le secret oublié des années 1980, et je confesse que j'ai un faible pour ce genre de cuisine.
Une salade de ris de veau et de girolles venait ensuite, avec des trompettes hachées sur le dessus (une espèce de refrain qui est revenu sur presque tous les plats : c'était peut-être pour jour le rôle que les truffes jouent en saison? Ca ne faisait pas de mal en tous cas). Le ris de veau était en tranches et rapidement revenu au beurre clarifié, mais il avait cette légèreté que je ne croyais ne pouvoir trouver que cheez Rabaey : doux et fondant, mais sans goût de viande ou d'abats. C'était un peu la version sublime du chicken Mac Nuggets, croustillante et fondate mais sans impression de gras ou de lourdeur. La salade et les girolles les accompagnait d'autant mieux, avec le goût des girolles en patriculier parfaitement souligné avec l'acidité d'une sauce aux câpres et le vecteur du ris.

Il y avait aussi le homard breton avec des nouilles à l'encre de seiche et une sauce au safran, un plat intéressant mais dont je suspecte qu'il était un peu gâché par la lègère sous-cuisson du homard. La sauce au safran, au lieu d'être crémeuse et musquée, avait une consistence d'emulsion légère et une pointe d'amertume. Quand j'y pense, je me demande si il n'y avait pas du pamplemouse à la place de l'orange pour la sauce. Quoiqu'il en soit, avec des nouilles qui avaient la fermeté qu'elles ont dans les potages chinois, le plat, ce plat de homard avait un goût éthéré, tout en durée et en rétro-olfaction subtile, au lieu de l'habituelle force du homard tempérée par de la crème et des pâtes. Le homard était plus rose que blanc, et je crois que c'est pour ça que ce plat n'était pas un succès total -- sans aucun doute moins que le ris de veau en tous cas.

Sur une recommandation baroque de notre maître d'hôtel, nous avons ensuite pris des coquilles saint Jacques au Cèpes. Dans un fond de cèpes intense, pas éthéré du tout cette fois, quoique toujours pas gras, des demis coquilles sautées américaines, et des tranches de cèpes réhumidifiées -- et les trompettes hachées. Je ne sais pas pourquoi un restaurant de ce calibre propose un plat si résolument hors saison. C'était bon, et même très bon, mais sans rien de l'enchantement qu'aurait procuré des ingrédients plus frais. Quoique, à y penser, peut-être que le goût sucré des coquilles d'Erquy super-fraîches n'irait pas avec des cèpes? En tous cas, le goût de ces coquilles là ne conflictait avec rien, faisant du plat un plat de cèpes jouant sur les textures. La pièce de resistance était aussi le climax. Un loup de mer en croute de sel, pas un petit comme vous pouvez le voir. C'est peut-être déjà votre rectte favorite pour le bar: C'est sans doute la mienne.Le poisson est cuit dans une grande quantité de sel marin dans un four très chaud. Le résultat est épatant parce que les saveurs et l'eau sont enfermées par le sel, en même temps que la température à l'intérieur du sarcophage est basse et homgène. Comme en plus le sel parfume les chairs, le poisson n'est pas sec et pourtant goûtu. Un gros avantage de cette recette, c'est qu'on n'a rien à faire pendant la cuisson. Un autre, c'est que c'est toujours spectaculaire d'amener à table une montagne de sel, qu'on brise avec un marteau pour révéler le mets cuit à l'intérieur. On peut appliquer la recette à n'importe quel poisson à écaille (on les laisse pour éviter que ce soit trop salé), un poulet, ou même une betterave, si on suit Passard.

C'est donc une recette à la fois simple et classique, mais il n'est pas si facile, surtout de ce côté des Alpes, d'avoir un poisson de cette fraîcheur, et il ne faut pas non plus négliger le mérite d'une cuisson parfaite. Vu la taille de la bête, il y eut deux services. Le premier était accompagné d'une purée de persil canonique -- juste de l'eau, du sel et du persil --, de quelques patates en concession au goût local, et d'un beurre de graines de coriandres et d'estragon phénoménal et subtil, avec le goût de la moutarde sans le piquant, et une vraie histoire d'amour entre le poisson et l'estragon. Le persil fait une garniture parfaite, complètement distincte de l'estragon. C'est là aussi qu'on sent le mérite des herbes coupées à la minute dans le petit jardin derrière le restaurant.

Pour le second service, le poisson, qui avait été gardé au chaud ou réchauffé, n'était plus à l'optimum de cuisson, et il était devenu un peu plus sec. C'était donc malin, j'ai trouvé, de la part de Winkler, de le servir avec une sauce plus riche et moins goûteuse (et les trompettes...) et un caviar de tomates gorgé de soleil.

Dans les débats gastronomique, on discute parfois de l'opposition entre délicieux et intéressant. J'aime à faire une autre distinction entre deux sortes de "bon": d'un côté le "j'en veux plus", aussi appelé "je suis triste de ne pas pouvoir en prendre plus", et à l'occasion "je crois que j'ai trop mangé". J'y associe Robuchon, Ducasse ou Rostang, le sucre, la crème et le beurre. D'un autre côté, il y a le "je suis si content d'en avoir mangé", "je n'en veux pas plus", "je suis satisfait", et je l'associe à Senderens, Loiseau, Roellinger, un fruit frais à parfaite maturité. Winkler appartient à la seconde catégorie.

J'étais surpris que le dessert soit totalement au niveau du reste du repas, tant il semble que l'exercice soit antithétique avec cette esthétique. Mais cette tarte fine aux pommes était une pure merveille: très simple et rustique comme vous le pouvez voir, tiède, elle est servie sur une délicieuse crème de calvados qui sublime le goût de la pomme et lui ajoute de la profondeur sans rien de la force alcoolique du Calva. Elle mouillait aussi la pâte feuilletée juste tiède, et le tout prenait une dimension nouvelle avec le sorbet à la lavande servi à côté (contraste de températures, de textures, jeu des saveurs et de leurs durées...). Un peu comme si vous pouviez manger la pomme au pied de l'arbre et dans le champs de lavande (outre que je ne connais pas d'endorit où les deux coexistent, je ne sais pas si ça marcherait en termes de saison...).
Je n'ai pas commandé de vins et cette cuisine quasi-diététique le supporte très bien. Mais la vraie raison en est bien entendue ailleurs: les prix sont au-delà de ce que je peux tolérer, avec une collection de côtes-rôties de chez Guigal entre 600 et 800€ (pour ce prix, on a un La Tâche chez Christian's , avec le repas). Le déjeuner pour deux s'est élevé à un peu moins de 300€, y compris un service intensément professionel et aimable, avec des attentions de grande maison (on nous avait gardé la même table que nous avions choisie la veille pour le café).

Ca n'est peut-être que ma propre opinion et un souci qui n'est que le mien, mais, depuis la mort de Bernard Loiseau, ce genre de cuisine, saine, légère, pure mais pas austère pour un sou, et intense, me manquait. Je recommande chaleureusement Winkler. Sur le plan personnel aussi, Winkler rappelle un peu le maître de Saulieu, avec son mélange de force de d'insécurité. Avec un peu de chance, il y aura de la neige à Noël et ce sera l'endroit idéal.

lundi 20 août 2007

Heinz Winkler, Italian master of nouvelle cuisine in Germany

La version française est ici.

Two reasons kept me from going to Heinz Winkler's sooner: bad reviews, claiming that he was the least good of the German three-star, even did not deserve them, and the pictures on his website, which make his place look like a huge fortress on top of a mountain, where one would expect to find a heliport or perhaps even a private runway for Bill Gates or the Sultan of Qatar.

Just driving there dismissed this latter impresion. Heinz Winkler's house, it turned out, is none of these neighbouring houses (yes, I did take too many pictures):



It is a big, rustic, house in the middle of a small village, a former postal relay at the feet of the Bavarian Alps. Herbs are grown in a little garden in at the back of the house, and the inside looks fancy more in a Bocuse way than in a Hotel de Paris way.

As far as the reviews are concerned, and as I argued for Bocuse, it is always an easy story to explain how the old masters are outdated and overrated. And, strangely, unanimity among reviewers make me rather doubtful, suggesting that the story ended up being more attractive than reality.

Winkler calls his cuisine "cuisine vitale", which makes him a sort of Alpine Guérard. Amuses immediately showed how serious this ambition of lightness is, starting with a cold gaspacho that was not even red, and positively aqueous. It was pure taste, without any sort of fat or texture, a sapid water, intensely welcome and refreshing on this sunny terrace. There was a mousse of cauliflower and Madeira, which was equally simple in composition and intense in taste, and finally a bite of marinated herring. Such a glorification of ingredient, in a manner which is yet not minimalist, but more of a streamlining and lightening of ancient knowledge, seems to me like a lost secret of the 1980s, and I confess a personal bias towards this approach.
A sweetbread salad with girolles was next, with some powder of trompettes/craterelles mushrooms on top (a gimmick that came back all over the meal: maybe those mushrooms were intended to play the role truffles would have played in season? Didn't hurt anyway). The sweetbread were sliced and quickly fried, and they had this lightness which I had come to think only happened at Rabaey – sweet, melty, but not meaty, without any trace of a liver-like taste. It felt like a sublime version of Chicken Mac Nuggets: crispy and melty, but with no sense of fat and weight. Salad and mushrooms were all the most welcome, and the taste of girolles was perfectly emphasised.

There was also some Brittany lobster with sepia ink noodles and a saffron sauce. This dish was interesting but I suspect that it was a bit compromised by a light undercooking of the lobster. The saffron sauce, where you would have expected something creamy and musk-like, had a light, emulsified consistency, and a taste on the bitter side. Come to think of it, I wonder if they did not use grapefruit instead of orange for the sauce. Anyway, with the firm pasta whose texture was that of Chinese noodles, it resulted in a lobster dish that was looking towards a very ethereal taste, all in duration and subtlety, instead of the habitual power, mitigated with noodles and cream. Maybe because the lobster was more pink-cooked rather than white, I had the impression that it was not a full success – definitely less so than the sweetbread.

Following a baroque recommendation from the captain, we got the coquilles saint Jacques and cèpes (scallops and porcini) dish. In an intense, this time not ethereal the least, though yet again not fatty, porcini cream, were sautéed American scallops with sliced dried porcini on top (and the mushroom powder). Not sure why a house of this calibre feels the need to offer a dish so obviously off-season. It was good, quite good, but of course there was none of the thrill you would have had with fresher ingredients. Though, on second thoughts, maybe the taste of super fresh French scallops would have conflicted with the mushrooms? The taste of these scallops, in any case, sure did not.
The pièce de resistance was no doubt the highlight of the show as well. A loup de mer en croute de sel, not a tiny one as you can judge, was cooked in salt, served to the plate. This may already be your favourite recipe for a good seabass – it is mine. The fish is cooked inside grey salt in a very hot oven, and it results in a very perfect cooking because flavours are trapped by the salt inside the fish, and the temperature inside is low and homogenous, and the flavours of the salt also perfume the fish. So the fish is moist and yet flavourful. A big advantage is that you do not have to do anything during the cooking. Another is that it is always spectacular to bring a solid mountain of salt to the table, break it with a hammer and reveal the food inside. The recipe works well with a whole chicken or any fish with a thick skin - scales are not taken off so that the result is not oversalted. Even works well with whole beets, judging from the Passard experience.

The recipe is simple and classic, but getting that fresh a fish is always tricky (and the fish had that distinctive and rich taste of super fresh wild seabass), and the perfect degree of cooking should also not be accounted for nothing.

Given the size of the animal, there were two servings. The first one was accompanied of a textbook parsley purée –there again, only water and parsley, some potatoes I guess as a concession to local expectations, and a great butter sauce of mustard seeds and tarragon. The mustard tasted like mustard but was not spicy-hot at all, the tarragon had a pure embrace with the fish, and the parsley worked as a great garniture, very distinct from the tarragon. Wow.

For the second serving, the fish, which had been kept warm (or reheated), was not at the delicious optimum cooking anymore, and had gone a bit drier. I therefore thought that it was smart from Winkler to serve it with a slightly richer and less flavourful sauce and a very fresh and moist tomato “caviar”, full of sun and tasty water. And the trompettes powder on top.

Gastronomical debate sometimes focus on the opposition between delicious and interesting. I like to make another distinction between two kinds of deliciousness: the “I want more” delicious, which could also be named the “I’m so sad I can’t have more” kind, I associate with Robuchon, Ducasse or Rostang, butter, sugar and cream. The “I’m so happy I had some and I don’t want more for it would alter my enjoyment” delicious is the other kind, and it is represented, in my opinion, by Senderens, Loiseau or Roellinger. Winkler clearly belongs to the second category.
I was actually surprised that the dessert was on par with the rest of the meal, for it seems that the exercise is in contradiction with the aesthetic approach I just mentioned. But the apple tart I had was a pure wonder: very simply made, as you can see, on order of course, it was served on a delicious Calvados cream which underlined the apple taste (brought also by the apple sauce between the dough and the apple slices), made it deeper, and had none of the alcoholic strength of the Calvados. This cream also moistened the freshly baked puff pastry, and the whole thing took a brand new dimension with the Lavender sorbet served on the side (obviously: temperature, texture, flavour and duration). A bit like if you got to eat the apple on the tree and walk in the imaginary lavender fields nearby at the same time (I am not aware of a place where the two coexist, and even so I am not sure if it would work season wise).

I did not order any wine and this kind of quasi-dietetic cooking stands it very well. But the real reason of course is that the prices are simply more than I call swallow, with, for instance, a selection of Cote-Rôties from Guigal oscillating between 600 and 800€ (you can have some La Tache at Christian's for this price -- plus the meal). The whole meal for two persons amounted to a bit less than 300€ à la carte, including intensely professional service and the kind of attentions you only find in palaces (e.g. they gave us the same table than the one we chose to take a coffee the day before).

It may be my own opinion and a concern that is mine only, but, since the death of Bernard Loiseau, I have missed this kind of cooking: healthy, light, pure, but not austere the least, and intense. I highly recommend Winkler. On a personal note, Winkler himself, with his sensitivity and his mixture of strenghth and insecurity is not unlike Loiseau was. With a bit of luck, there will be snow and it will be just the ideal place for Christmas.

dimanche 19 août 2007

Christian Grainer: great wines and superb food in Bavaria -- at good value


As you may have inferred from my last Acquarello blog, I was losing hope as far as fine, joyful dining in Bavaria is concerned. But then last weekend happened, and I had dinner at the restaurant of Christian Grainer in Kirchdorf. This is a big, very old house, across from the church in a village 70 km east of Munich. Unlike the coutryside and mountains south of Munich, this is not a tourist destination, but a genuine, farming, countryside: it was quite obvious this weekend as they were fertilizing the fields and the characteristic associated smell was all over.

As the story goes, the Grainer family has been your host in this house for five hundred years. Indeed everything about this place speaks about aging: pictures of Ludwig 2nd, deer skulls, old pieces of furniture, and old bottles of French wine are the salient elements of the setting, while the proportions of the rooms remind you of the age of the building and the state of the wall painting keeps track of the generations of smokers that have used this room. There are only two, tiny dining rooms, only three tables in the one where we dined, and indeed, it feels like you are in the Visconti movie and someone is going to enter the room and announce the mysterious death of King Ludwig. Neuschwanstein, my friend, will never be finished.

Christian Grainer was trained at Alain Chapel, and he still has on the wall, framed, the last menu he served there. Then he also worked at Bareiss, which Michelin this year rated as an "espoir" for three stars in 2008, and he came home in 1991 to take over the family business. There is little about his cuisine that is strikingly Bavarian, though his ingredients are. Classic French recipes are prepared in a modern fashion, relying on quality ingredients, the main impression being that there really is someone in the kitchen checking every plate before they are sent out. It may sound common, but I don't think it actually is. The modernity (if any) lies in the fact that, like at l’Astrance, you have neither the choice, nor the knowledge, of what you will be served until it arrives at your table. You just need to chose if you want a 3, 4, 5 or 6 course surprise menu. And also if you want to supersize it (you may want only three course but still a lot to eat).

But you have some latitude as far as the wine is concerned. I had a 1961 Pasquier Desvignes Vosne-Romanée, bottled in Denmark, for 99€, and the wine list includes such treasures as a Petrus 1994 for 950€, a La Tache 1995 for 890€, and a Mathusalem (6l) of Richebourg 1979 for 7500€. Of course you cannot know how the match with the surprise menu will be, but you can always ask them… or not really care. Our young waiter acted as sommelier, and he was knowledgeable and selected a Mosel Riesling and a Prosecco as aperitifs which were highly recommendable.

The Vosne-Romanée, which was the same age as the third wife of my father, was even more complex and instable. Between refills, they kept the bottle in the cellar to avoid the effects of the ambient temperature. Thanks. At first it tasted like nothing – say a very young Volnay. Then there was an explosion of truffle, and after ten minutes, powerful tannins. As time went by, flavours and smells of marrons glacés, of cherry, confit, leather, roast meat came and went. Granted, after two hours, the wine was exhausted, and it just tasted like some old wine again. But boy it was worth the trip. It also proved an excellent match with the two fish courses and the quail.

Speaking of which, the amuse was a big large plate with a fish mousse, a Pfifferlinge (Girolles, Chanterelles) terrine, and some apple dices, which actually played in the dish as a support of fruity flavours. Bread was quite good, and the butter was OK but fresh cheese and tapenade (olive-based paste) were also provided for spreading on bread. Then there was the same demonstration that there is something fruity in some fresh fishes with a char/samlet (Saibling, Omble – a fat river fish) served with tomatoes, beets, salad and a truffle oil foam. The cooking of the fish was perfect, tender, moist and even melty, not unlike some great wild salmons can be. The truffle taste was well mastered (not unpleasant, not overwhelming, but intense), and the play with the tomato was the most interesting part.

Another great dish, though hardly innovative, was a roasted quail, boned and stuffed with lentils and foie gras. I think roast fowl is a fine dining feature, as I will elaborate in a further post, because it requires a lot of skills, manpower and attention for a result that can be exceptional. The flesh was tender and juicy, the skin crispy, the juice intense, and the earthy character of the lentils worked, as well as you could expect with the saltiness of the bird, the foie as a facilitator. Lentils sometimes really are the “truffe du pauvre”. There was a quail egg on top, which was mostly cute, though its yoke possibly played as a taste vehicle. A very square and plain dish, served in a very square and plain plate.

It’s not a meal if there is no soup, is it? This one was Brittany lobster, a very classic, Robuchon-style soup, made mostly of lobster and butter, foamy, with bits of lobster inside. Just delicious. “Would like more?” they asked. You bet we do, bring it on, brother. Then a hare dish. They take game seriously in Germany, and they have it all year long (different species for each season). This was a Christmas dish, with spices on the cinnamon side, a rosace of roast potatoes that they pretentiously (and inaccurately) called “Maxim”, apple dices, blaukraut (chou rouge), porcini mushrooms (cèpes, Steinpilze), and a morel foam on top. Though slightly overcooked, it was textbook hare, just old enough so its flavours are not unpleasant or overwhelming and nicely harmonise with all the other elements in the plate.

There again, they offered a second serving, which featured a truffled potato purée instead of the fake “Maxim” potatoes and the morel foam. As the hare was a tiny bit drier this time, from having been kept warm (or rewarmed), the choice of the purée to balance the dryness was yet another sign of the utmost attention to each plate.

You know how you like a good coupe of Champagne with your fruit salad and a bit of sorbet (say elder tree flower)? Then why bother? Christian Grainer just spilled the fruit salad and the ice-cream in the glass, and there you go: just as good but with less dish washing. That works nicely as a pre-dessert. This is when I discovered that, compared to French practice, they swap coffee and cheese, the cheese coming after the dessert and the coffee before.

The dessert was, yet again, a classic rice pudding (riz au lait) with exotic fruits, in a modern fashion: on a rice and coco galette, a cylinder of vanilla rice pudding, rolled in coco, on top of it a quenelle of mango-passion sorbet (too small to be enjoyed through the whole dish), the whole thing trapped in a spiral made of biscuit, strawberry sauce and elder tree sauce all around in the big glass plate. It was light, with little or no cream and little sugar, and there was a fine balance of tastes and textures, as the lowest rice level was somewhat dense, the spiral was crispy, and some slices of mango also brought the texture and freshness of the raw fruit. It concluded perfectly that thoroughly enjoyable meal in this restaurant which really feels like, and really is, someone’s house. 280€ for this dinner for two, including beverages.