mercredi 30 mai 2007

Un bon dîner aux Pays-Bas

J'ai vraiment bien mangé et bu à La Haye, ou plutôt à Rijswijk, à l'hotel Grand Winston. Il faudra que j'écrive dessus. Il parait que le chef vient d'arriver.

Il y avait une salade de homard avec du foie de canard (une mousse) et de la grenadine (une tuile enserrant la mousse), servie avec un Tokaj; un drôle d'attelage de coquilles st jacques chevauchant un rouget, avec des chapeaux de petites morilles et de batonnets de jambon jabugo, et une sauce de jus mélangés et émulsionnés. Ensuite un somptueux turbot avec une ligne de girolles, une de fèves, une de petit pois, une sauce truffe, une sauce hollandaise, et un verre de Riesling de la Sarre exceptionnel. Et un beau serpentin en pomme de terre sur dessus, avec lequel on peut jouer, faire un petit cercle, le remplir de fèves et de girolles, etc.

En dessert des cerises avec un cake, un sabayon, un sorbet cassis et un sauternes. Le sorbet surtout était délicieux, onctueux, léger et intense, et le reste était là pour adoucir, enrober, prolonger.

C'était tout très bon, soigneusement cuit (on pouvait d'ailleurs les regarder faire à travers la paroi vitrée qui séparait la salle de la cuisine), très bien assaisonné et très frais et il y avait à chaque fois un petit truc en trop: la grenadine ou le foie, le rouget, la sauce truffe, le cake. C'est la faute des critiques, avec leur tyrannie de la nouveauté: si on enlevait le truc en trop, évidemment, ces plats étaient très classiques.

Aussi toujours la légère surcuisson des poissons, qu'on appelle aussi cuisson "à l'américaine". Probablement intentionnelle, donc: j'aurais dû m'en douter et leur dire au début que j'aimais mon poisson rosé...

N'empêche, c'était joyeux, net, frais, et l'ingrédient en trop devenait presque un jeu. Et le pain et le beurre étaient délicieux, ce qui, étrangement, est souvent la marque des bonnes maisons (il faut gouter le pain et le beurre à l'Arpège, par exemple...).

Le maître d'hôtel sommelier a des manières un peu excessives, mais il très passionné et manifestement compétent. Dans un touchant mélange de classe et de grossiereté, il m'a reproché de manger trop vite parce qu'il voulait m'offrir un verre de vin qui est arrivé alors que j'avais presque fini le plat. Je ne peux pas en dire plus sur le service, car nous étions trois dans la salle ce soir-là (le 24 mai 2007).

C'est dans un grand bâtiment en béton sans fenêtre, entre les deux ailes de l'hôtel, et c'est éminemment contemporain comme endroit. On se croirait dans un épisode d'Alias. Le restaurant est dans une mezzanine, la brasserie en dessous. Dans les deux cas, les cuisines sont le long de la salle, derrière la vitrine. La brasserie est aussi très agréable, même si on m'a servi des frites pas assez cuites avec un cheeseburger vigoureux et une petite bouteille de ketchup juste pour moi trop mignonne.

Dans les chambres, les salles de bain ressemblent aux locaux de la CTU dans 24 heures chrono, avec leurs parois en verre. Tiens voilà, j'ai écrit dessus. Au fait, ce repas m'a coûté 63,25€, tout seul hélas.

mercredi 23 mai 2007

Et maintenant, Bayrou?

Une digression d'abord: je lis que "Le délitement des deux extrêmes a réduit la marge d'incertitude et favorisé l'émergence d'un espoir centriste". L'émergence du centre n'a-t-elle pas, inversement, permis aux deux partis traditionnels de capter les franges excitées de leur électorat. Bayrou, force d'appoint des socialistes pour les attachés à droite, frère jumeau de Sarkozy pour les suiveurs de Hollade. Sarkozy dit qu'il a fait reculer Le Pen: c'est vrai. Mais aurait-il pu le faire sans Bayrou? Et même, n'y a-t-il pas été contraint (pour son plus grand bénéfice sans doute)?

Ceci dit, un coup de gueule encore:

C'est dommage que le discours centriste (et le socialiste aussi d'ailleurs) se résume à l'idée de troisième voie, d'équilibre des pouvoirs.

Comme l'article auquel je faisais référence le pointe, le destin du centre et des radicaux, c'est de se faire piquer ses idées. C'est vrai dans l'histoire de la Troisième République comme dans celle du scrutin présidentiel de cette année (par exemple le co-développement, le budget, les meilleurs à gauche et à droite).

On peut trouver ça injuste, mais le centre n'est qu'une blague si il ne défend pas d'idées. Au début de la campagne, Bayrou proposait des idées assez fortes et claires. Tant mieux si on lui a pris. C'est qu'elles étaient bonnes et qu'elles font leur chemin.

Mais on ne l'entend plus parler que de dépasser le système bipolaire. C'est sans doute intelligent de favoriser le dialogue et la construction de consensus. C'est aussi peut-être ce que l'électorat a besoin d'entendre (ça reste à prouver) et c'est un message clair et facile à comprendre.

Mais bon, si Sarkozy favorise le co-développement, l'ouverture politique, et le ferroutage (ce qui reste à prouver dans les faits bien entendu), on peut le dire. Et surtout on peut passer à un autre combat si celui-ci est gagné. "Si".

C'était, à mon avis, une force de la campagne de Bayrou que son caractère kamikaze. Continuons: parlons de ce qui ne va pas dans les plans de Sarko, à propos de l'école, de l'emploi, de la franchise médicale bien sûr. Rompons avec l'idée qu'on ne peut rien faire si on n'a pas tous les pouvoirs, comme le Président, et continuons à faire des choses en imposant des idées. Qu'on nous pique, et alors?

Veux-tu bien laisser le petit garçon tranquille?

Mon Nicolas,

Tu sais que je t'aime. Mais je voudrais que tu te contrôles de temps en temps. Ton premier acte de Président de la République, demander qu'on lise la lettre de Guy Moquet dans les classes, est odieux et absurde.

Il a raison, le prof dans Libé: d'abord ça te regarde pas. Ensuite, si tu veux vraiment t'immiscer dans les programmes scolaires, ça doit être en parlant de ce qu'on fait à l'école, c'est-à-dire apprendre, développer l'esprit critique. Pas en nous donnant du larmoyant sans explication, même si je sais que ça t'as réussi dans la campagne présidentielle.

Non, Nicolas, on peut pas faire ta campagne dans les écoles. Oui moi aussi elle me fait pleurer la lettre, Nicolas. Les enfants qui meurent et les parents qui survivent, ça fait pleurer.

Mais si tu veux t'occuper de l'école et même de l'identité nationale et de l'économie, mon grand, occupe-toi que les mômes apprennent à lire et à écrire, et même à réfléchir et à discuter.

Allez, je suis pas faché, et je suis sûr que ton action n'aura pas les relents crypto-fascistes de ton discours. On ne t'appellera Bénitozy que pour rigoler.

Je compte sur toi, hein?

vendredi 18 mai 2007

Parfaite et Grande Cascade

12 mai 2007

Je ne sais pas si je dois en parler: depuis le départ de Frédéric Robert, le chef des cuisines, mes expériences chez Senderens (quatre) ont été décevantes. Après la transformation de Lucas Carton en Senderens, j’avais d’abord été émerveillé de retrouver la même magie pour moins cher. J’ai fait à Lucas Carton, puis à Senderens, les meilleurs repas de ma vie, éblouissants, surprenants, laissant une satisfaction à la fois immédiate et durable.

Depuis le départ de Robert pourtant, les assiettes restent intéressantes, et mêmes surprenantes (ce sont toujours les idées d’Alain Senderens), mais sans grâce, pas éblouissantes. Les cuissons sont plus approximatives, les assaisonnements aussi. La terrine de gibier, par exemple, qu’on nous servait tiède, sort maintenant du frigo, avec cette méchante mâche de la pâte feuilletée qui a passé trop de temps au frigo, et cet amalgame des saveurs qui est le contraire de ce qui faisait de ce plat une merveille. L’agneau est cuit longtemps mais à trop haute température, sec et peu savoureux. L’éblouissant bouillon chinois avec son foie gras dedans est réduit à sa recette, certes géniale : un foie gras dans un potage pékinois. Mais magie partie.

Ceci dit, le chef pâtissier n’a pas changé : allez-y pour les desserts, ils sont toujours magiques, à commencer par les glaces et sorbets, sans oublier les macarons à la rose, dacquoise au poivre, mille-feuille…

Plusieurs témoignages négatifs de gourmets réputés, dans les années 90, classaient d’ailleurs sans ambage Alain Senderens au rang des gloires passées et des restaurants pour ceux qui ont trop à dépenser. C’était en contradiction avec mon expérience. A mon goût, Lucas Carton/Senderens avait été tout simplement le meilleur restaurant du monde. Aucun repas n’y avait été moins que merveilleux. Je n’avais jamais eu le sentiment de payer trop cher, malgré des plats à cent euros et plus.

Il semblait donc que Frédéric Robert y soit pour quelque chose. D’où l’espoir que la magie qui a quitté le restaurent Senderens ait suivi son chef : dans le cadre exceptionnel du restaurant de la Grande Cascade, dans le bois de Boulogne.

Pour une part, cette expérience a confirmé mon diagnostic : la cuisine de Robert à la Grande Cascade est d’une absolue virtuosité, une épure qui suggère la perfection. Les produits sont proprement exceptionnels, et le brio d’exécution est à couper le souffle. Ainsi, à côté d’une tuile à la tapenade et d’un petit bout de rascasse en gelée, une soupe glacée de melon, presque un sorbet, avec des petites boules de melon et de la menthe ciselée. C’est un de ces plats qui fait aimer ce qu’on n’aime pas. La douceur du melon à exacte maturité est renforcée par le froid et la consistance de soupe épaisse, paysanne, que la menthe fraîchement ciselée vient souligner, prolonger et alléger (pas atomiser, comme trop souvent la menthe).

Ce n’était que les mises en bouches. Juste avant d’ailleurs, l’apéro avait été accompagné d’allumettes feuilletées avec du pavot et du sésame : une pâte feuilletée aérienne, sans la moindre trace de gras (sur les doigts ou au goût, je suis pas chimiste et je suis sûr qu’en fait il y a du beurre dedans) ou de pesanteur. Tiens d’ailleurs, aussi des feuilletés parfaits et légers à Venise, au café Rizzardini.

Puisqu’on parle des extras, les mignardises était à pleurer : autour d’un macaron fraise, très couleur fraise, léger aussi, il y avait trois framboises sur un biscuit pistache qui étaient comme une ode à la pâtisserie française, moelleux, onctueux et savoureux, avec peu de sucre et peu de gras ; et une panna cotta dans un petit pot avec des fraises des bois sur le dessus, parfaitement régressif avec son mascarpone dedans, et en même temps pas lourd du tout (faut dire que c’est servi en portion mignardise – mais j’en connais qui en profitent pour ne pas alléger leurs recettes).

Bon, mais les trucs qui figurent sur l’addition ? Il y en a d’abord pour lesquels on paye beaucoup, beaucoup trop : la carte des vins est sympathique et classique, à part cette colonne à droite avec des prix qui doivent être en lire ou quelque chose comme ça. Ca dit 200 pour un coteau du Languedoc, rien en-dessous de 100. La Romanée Conti émarge à 6000. Un verre de Vosne-Romanée à 26. Pas cher si c’est des lires. Dans le doute néanmoins, et n’osant pas demander, on a juste prix un verre de blanc du Languedoc et de l’eau qui pique.

Perfection et légèreté toujours avec la salade de homard aux pêches : un homard ferme et savoureux, rouge et blanc, cette résistance sous la dent, ces belles pêches blanches fraîchement coupées qui, si elles sont venus d’une serre chilienne, ont dû venir drôlement vite. Et une petite rémoulade avec les pattes et les pinces : quand la mayonnaise devient pure onctuosité, liant.

Un cannelloni de morilles et d’écrevisses, réduction de vin jaune et jus de veau. On ne sent pas beaucoup l’écrevisse, sauf quand on mange celle qui décore l’assiette, mais elle apporte de la légèreté au plat. Le jus de veau confirme qu’on est dans une grande maison, intense et doux mais sans âcreté ni amertume, et toujours sans richesse dispendieuse. La découpe maitrisée des morceaux dans le cannelloni participe d’une cuisson parfaite et d’une mâche qui laisse se développer les saveurs de la morille enrobée par le veau et la pâte.

En plat, passons sur un ris de veau un peu surcuit (non c’est pas moi qui ai un problème – c’est souvent trop cuit même dans les grandes maisons, sans doute parce que ça veut mieux que pas assez et l’à-point de cuisson sur le veau et la volaille est toujours à quelques secondes près, et varie d’un morceau à l’autre) avec des légumes de saison et le même jus de veau.

Le pigeonneau est lui présenté dans une assiette carrée, une diagonale dessinée avec de l’hydromel, et qui définit une superbe et simple symétrie : une pastilla de cuisse en forme de cannelloni. A chaque bout, un disque de navet caramélisé et un suprême. La pastilla comme le navet sont directement importés de feu Lucas-Carton. La pastilla surtout, croustillante autour et tiède dedans, le foie gras liant les morceaux de cuisse, est un très grand moment.

D’où vient alors notre désintérêt ? A ce stade, nous décidons que, même si tout était parfait, nous n’avons qu’une envie : nous en aller, nous encanailler en somme. Nous ne commandons pas de desserts (mais on nous offre les mignardises quand même, et tant mieux), nous partons – légers, contents, mais aussi contents de partir, et sans envie de revenir si ce n’est pour prendre d’autres leçons. Pour apprendre, la cuisine de Robert doit être une des meilleures aujourd’hui. Pour un cuisinier, je veux dire. Pour le reste, elle semble parfaitement à la hauteur de son standing, une cuisine de luxe qu’on pourrait manger tous les jours. Mais pas de grand spectacle, pas d’éblouissement.

Je sais maintenant de quoi Lucas-Carton était composé en 2003 : du génie pétillant de Senderens et de la rigueur, de l’académisme superbe de Frédéric Robert. Je me surprends même à imaginer que la combinaison des talents dans la cuisine de l’Archestrate, que je n’ai pas connue, il y a vingt ans, devait participer du même genre d’alchimie.

Dans les restaurants parisiens, pour moi, la recherche de la nouvelle star continue.

L'hôtel d'Angleterre, à Châlons-en-Champagne

1er mai 2007

Nous faisions étape le 1er mai à Chalons, avec mon guide Michelin tout neuf. C'est comme ça que nous avons dîné à l'Hôtel d'Angleterre, une étoile, la bonne maison locale.

On y mange très bien- une cuisine qui est fine, plutôt joyeuse, et qui laisse une bonne impression. Un souvenir saillant est celui d'un pressé d'anguilles et foie gras, avec des pommes, du caviar, une sauce vodka. C'est donc un foie gras aux saveurs marines, un foie gras léger, enjoué. Il y a des beaux cubes de pomme, tous brillants d'avoir été encore un fruit il y a cinq minutes, posés sur une crème dont j'ai aucune idée comment elle est parfumée à la Vodka. Quelques cuillères de caviar que je suppose d'Aquitaine (vu le prix raisonnable du plat), en alternance autour de cette tranche de terrine centrale. Et du pain de campagne grillé sur le côté.

Bon, c'est très compliqué de se faire une cuillère, ou une tartine, avec un peu de tout. D'autant que la terrine a deux couches de foie gras et une d'anguille et que les cubes de pommes font bien un centimètre de côté. Mais ça vaut le coup d’essayer : l'équilibre entre le gras, l'iode et la vapeur de Vodka est vraiment réussi, il rappelle un peu pourquoi on aime les blinis avec la crème, le caviar, la Vodka, mais en plus terrien, comme si les esturgeons avaient mutés et étaient devenus des animaux à pattes.

Avec, un Condrieu un peu cher (64€ pour une demi-bouteille mais y a-t-il encore des Condrieu, ou des Côtes-Rôties accessibles?) fait aussi une bonne alliance. Son acidité et son amertume légère disparaissent au contact de ces bouchées compliquées à produire, et il y reste une douceur qui complète le plat, excite les papilles immédiatement, avant de faire place à l'iode et aux harmoniques de ces deux-là portées par le foie-gras, la crème, le vin.

Le même fait aussi une belle alliance, bien plus pétillante et acide, avec une des spécialités de la maison: une nage de langoustines au Chardonnay. Les langoustines sont parfaitement cuites, fermes et fondantes. La nage est subtile, pas trop crémée, avec toute la complexité du vin. Et la brutalité de l'un comme de l'autre est polie par des petits légumes nombreux. Une soupe de rêve, en somme.

Une spécialité très appréciée de la maison, nous dit-on, est cette lotte lardée avec des légumes de printemps. C’est pourtant un plat qui, à mon avis, ne marche pas. Le lard entoure des trois petits médaillons de lotte, bien fraiche, ferme, blanche et brillante. Il en écrase les saveurs. Ces trois ou quatre petits médaillons sont disposés autour d’un gros paquet de légumes divers en très fine julienne, emballés dans des pois gourmands. C’est un magnifique plat de légume : saveurs et cuissons précises, distinctes mais se fondant bien ensemble. Mais le lard le fait paraître fadasse, et les légumes se vengent et soulignent sa rusticité, sa brutalité.

Le ris de veau, lui, est sans surprise mais sans reproche, il me ravit. Un dessert très simple fait de gariguettes poêlées, pain perdu, glace au fromage blanc confirme la très bonne impression générale : les gariguettes, je le dis sans vouloir offenser personne, sont certes françaises mais pourtant souvent un peu fadasses. Pas celles-ci, dont le rapide passage à la poêle développe les saveurs. Mon amoureuse a un bien beau soufflé au chocolat, dont elle regrette que le sucre se sente trop. C’est un problème général des soufflés, mais je pense que l’équilibre de celui-ci est très réussi en goût et que moins de sucre laisserait le chocolat trop amer pour être bon. Ce qui se passe, c’est qu’on sent les grains de sucres dans le soufflé, et c’est perturbant. Difficile de décider si on aime ça ou pas, mais ça ne manque pas de personnalité. Je voudrais bien, par curiosité, essayer le même soufflé avec du sucre glace : même goût, mais une mâche qui serait toute différente.

Un mot d’un service jeune et très professionnel, très aimable et causant mais pas envahissant, qui a l’air content de son sort. La salle a tout le charme des bonnes maisons de province avec ses lambris modernes, ses miroirs, ses bibelots, ses fleurs. L’addition est de 250€ pour deux, ce qui incite aux comparaisons et aux questions sur le rapport qualité-prix (éternel problème de la bonne cuisine). Mais c’était une belle soirée.

vendredi 4 mai 2007

Sarkozy: évidemment!

Avez-vous remarqué que le petit Nicolas, celui qui a changé, qui est gentil, ment très peu pour un homme politique ambitieux, et héritier de Chirac?

En l'écoutant(pensez si j'aime ça!), j'ai trouvé frappant que sa stratégie de discours, plus que d'autres, repose en grande partie sur le fait de ne dire que des évidences, des choses incontestables. Lesquelles sont par ailleurs sans rapport avec le sujet dont on parle.

Ainsi, la polémique sur "l'immigration et l'identité nationale": dans toutes les explications ultérieures, il nous a expliqué que les immigrés doivent connaître et respecter ce qu'il appelle "nos valeurs", "notre identité nationale" et dont il dresse une liste: la monogamie, l'égalité homme-femme, la laïcité, etc. Imparable. Il a raison de dire ça. Qui le contesterait?

Mais notons que ça n'a rien à voir avec des valeurs, moins encore avec l'identité nationale: ce sont les fondamentaux de la légalité dans tous les pays occidentaux. En théorie, au problème initial lié à l'affirmation implicite que l'identité nationale est menacée par l'immigration, s'ajouterait donc celui qu'un ministère devrait définir précisément notre identité.

C'est en écho avec l'idée que la France, on l'aime ou on la quitte: en soi, ça me paraît assez défendable (en faisant abstraction du fait qu'on n'a pas toujours le choix). Mais qui est-ce qui va me dire si j'aime la France ou pas? C'est à moi seul d'en juger. D'ailleurs, je l'ai un peu quittée ces derniers temps. Pourtant je l'aime. En tous cas, qu'est-ce que ça a à voir avec de l'action politique, du gouvernement?

Il y a aussi "si la gauche vaut être du côté des fraudeurs, c'est son droit etc.". Qui peut contester une telle phrase? C'est un syllogisme parfait, dont le prémisse n'a juste aucune raison d'être. La phrase est strictement vraie.

J'ai déjà parlé du fameux "programme": valeur travail, pouvoir d'achat, propriété, République irréprochable. On ne peut pas ne pas être d'accord avec ça, si? En quoi ça constitue un programme d'action, ou en quoi il est vraisemblable que notre Kozy d'amour y contribue, ou en quoi est-ce que c'est une vision politique, un projet de société: toutes ces questions ne se posent juste pas.

Et la femme violée qu'il a reçu dans son bureau, qu'il évoque en réponse à une question sur les peines planchers? On partage tous cette compassion et cette indignation. Ce n'est même pas que les solutions que proposent Sarkozy sont contestables: c'est qu'on n'en discute pas. Pas du tout.

Et puis pourquoi on l'aime pas? Tiens oui, c'est vrai au fond, pourquoi? Mais je l'aime, moi! J'aimais Chirac aussi. Je crois qu'une soirée à l'ambassade d'Auvergne avec l'un, au théatre Marigny avec l'autre, seraient de très bons moments. je t'aime, moi, Nicolas. Je veux pas que tu sois président, mais je t'aime.

On pourrait multiplier les exemples, le débat du 2 mai n'a pas fait exception, moins encore les meetings et les interviews. Mais j'attire votre attention sur ce qui me semble être un motif: notre Kozy d'amour ne dit presque jamais rien de contestable. Il a une stratégie du "sans rapport". Il parle juste d'autre chose que de ce qui est en débat.

En ça, les Guignols sont totalement à côté du personnage. J'y reviens encore: c'est un clown, un personnage de Ionesco. Une caricature plus vraie nous le montrerait nous parlant des victimes de viols quand on le questionne sur la liberté de la presse, nous parlant de ses sentiments quand on lui parle de la séparation des pouvoirs, nous parlant de liberté quand lui parle de choix économiques et sociaux, et de morale quand on lui parle d'échec scolaire.

Ah, c'est pas une caricature?

Ça ne le rend pas moins important, sérieux, peut-être même sincère, et qui sait ce qu'il fera comme président? Mais je crois que c'est une caractérisation assez juste de sa stratégie rhétorique. Amis linguistes et rhétoriciens, comment s'appelle cette eau chaude que je viens de réinventer?

Je crois qu'il est clair qu'il y dans cette structure dans son discours quelque chose de profondément politique, pas nouveau: le pouvoir politique se détache par nature de la réalité, il la reconstruit, comme de Gaulle a réussi à faire de la France un vainqueur de la Seconde guerre mondiale contre l'évidence, contre les faits.

Mais ce que je trouve remarquable, moderne peut-être chez Sarkozy, c'est justement qu'il ment si peu. La France vainqueur de la guerre, ou le Français une des deux langues de travail de l'ONU, la modernisation pompidolienne de le France: ce sont des contre-vérités dont le pouvoir politique a fait des réalités.

Par contre, les évidences du petit Nicolas sont des vérités sans rapport avec la choucroute. Peut-être que son sacre couronne cette nouvelle ère des politiques sans aucune influence sur la réalité?

Dans la septième saison de West Wing, Josh explique qu'il y des questions sur lesquelles il ne sert à rien de débattre, parce que soulever ces questions, c'est donner des points à un camp, sans que les arguments comptent. Ainsi, sécurité nationale= républicains, et aucun argument, aucune preuve ne peut ébranler cette certitude politique inébranlable.

De fait, les Etats-Unis, toujours dix ans en avance sur nous, ont déjà élus leur Sarkozy. Peut-être aurons-nous notre Barack Obama après deux législatures Sarko, nous aussi?