mardi 18 septembre 2007

Tantris, berceau de la haute gastronomie allemande

(Photos Tantris quand spécifié)



English version is here.



Avant toute chose, Tantris est un endroit absolument dépaysant et improbable, un voyage dans le temps et l'espace. En plein milieu d'un quartier résidentiel et excentré de Munich, un pied d'une tour, C'est un bloc de béton asymétrique, habillé de métal. Il y a des dragons et des créatures mythologique et heroic fantasy qui gardent l'entrée, un peu comme dans les restaus chinois. Je dis l'entrée, je devrais dire le sas, un cylindre de métral rouge de cinq mètres de haut avec, évidemment, des portes tournantes. Very “beam me up, Scotty!”.


Dedans, c'est la vraie de vraie architecture des seventies. Déjà, c'est l'intérieur qui compte (vous avez vu l'extérieur). Et puis il y a tous ces niveaux différents, comme si toute le restaurant n'était qu'ungrand amphithéatre (et c'était bien l'idée initiale, avec un grill au milieu à l'époque). Il y a un grand comptoi blanc avec de la lumière dedans qui éclaire des plantes et des oeuvres d'art par en dessous. Scary monsters. Des boules oranges (quoi d'autre?) assurent l'éclairage psychédélique qui se reflète dans la peinture noire laquée, et la moquette orange sur les murs et le plafond. Le disco n'a pas épargné la vaisselle, avec des couteaux ridiculeusement longs et fins, des cuillères tordues, des assiettes à pain ovales.

C'est un témoigange d'un temps où l'homme croyait à la science et à la rationnalité totale, à forger entièrement son monde, s'affranchir totalement de la nature. Dans l'architecture d'aujourd'hui, il y a des matériaux naturels, des bois précieux, du cuir, des jardins et des terrasses, du Feng Shui; en somme une ouverture, un dialogue avec la nature. Pas ici. C'est l'architecture de la Tour infernale, de Cosmos 1999. J'adore.

Je vous ai dit que c'était aussi un restaurant? Historiquement, c'est même le restaurant allemand. Il reçut trois étoiles avec Heinz Winkler, qui est encore en activité à la frontière autrichienne, toujours trois étoiles. Son prédécesseur, Witzigmann, fut le premier trois étoiles allemand dans le restaurant qu'il avait créé (l'Aubergine). Aujourd'hui, leur successeur Hans Haas offre une belle cuisine des annés 80 bien executée. Elle est dans défaut, équilibrée, subtile, et bonne. Encore deux étoiles.



Néanmoins, après l'endroit lui-même, le souvenir saillant de ce dîner du 24 juillet 2007 est deux vins légendaires: un Dom Perignon 1998, avec un nez presque animal, un goût infiniment complexe et raffiné, presque pas de bulles. Et un Chateau Latour Pauillac 1994, puissant et charpenté, qui est comme l'expression de toute une civilisation.

Je vous ai déjà dit l'essentiel à propos de la nourriture: irreprochable, bien composée, bonne. Les mises en bouche étaient néanmoins très remarquables: un tartare de thon et de mangue dans une mousse de thon, comme un flan, un coulis de tomate froid par dessus, et une longue allumette au sésame. Tout ça est servi dans un bol en verre posé sur un assiette en verre, qui ont un motif en spirale complètement hypnotisant. Comme le fonds derrières les chanteurs dans les émissions de variété de Marise et Gilbert Carpentier. Le tartare de thon est délicieux, très frais. Bien sûr il ne sort pas de l'eau : on est à Munich. Mais c'est bien pourquoi le choix du thon est malin, qui n'a pas les mêmes impératifs de fraicheur qu'un bar par exemple. Et c'est aussi parce qu'il n'a pas la puissance du super-frais que l'alliance avec la mangue marche. Au début, l'allumette de sésame, si elle apporte un contraste de texture bienvenu, est sans rapport avec la douce fraîcheur du tartare. Mais un peu comme dans les grandes alliances met-plat, tout ça prend un nouvelle dimension quand le goût et la rétro-olfaction de sésame grillé interviennent.

Un bon bout de temps après, autre point fort du repas, un homard avec du choufleur mariné et des tomates. Les tomates sont rouges, jaunes et vertes, en tranches, en dés, leur eau emulsionnée avec un peu de citron et d'huile d'olive. Mais le premier plan, c'est l'alliance inattendue (pour moi en tous cas) du choufleur et du homard. Une rencontre de goûts. La douce acidité des tomates d'été, solides, liquides et mousseuses, font transition. Vraiment une de ces découvertes apparemment simples de la bouvelle cuisine: la similarité entre le goût du choufleur et celui du homard. Et je ne parle pas du goût de choufleur adouci et crémé, surcuit, et encore beurré, comme dans la soupe de choufleur caramélisée de Loiseau, mais le vrai goût de choufleur, un peu fort, si caractéristique. Ca m'a rappelé Troisgros paraphrasant Mozart: « la cuisine, c’est trouver deux goûts qui s’aiment » .

Ca marchait aussi très bien avec le verre de Grüner Veltliner qu'ils nous ont servi, épais et presque doux, pourtant n'interférant pas avec ce mariage.


Il y avait ensuite un truite parfaite en fraicheur et cuisson. Elle est servie sur une purée de céleri, avec des petits dés de sauce et de céleri sur le dessus, un petit triangle de peau croustillante, dans une sauce à la fleur de sureau. Les mots me manquent, à part irréprochable, bien composé et bon. L'acidité et le parfum dans la sauce, la structure feuilletée et fondante de la truite, la durée en bouche avec le céleri, le jeu de texture aves les dés de pomme et la peau croustillante.

Un intense gaspacho glacé est ensuite servi dans une tasse, come un trou normand pour rincer la bouche et rouvrir l'appétit avant les plats principaux.

Une sole d'abord. Avec di chou Pak Choi, un ravioli de haricots, une tranche d'aubergine superflue. C'était de beaux gros morceaux pris dans une belle grosse sole. Là encore, le chef n'essayait pas de nous faire croire que Munich est au bord de la mer: la sole, ça n'a pas besoin d'être super frais. Le tout était servi dans une sauce "mignonette" qui n'avait rien à voir avec la sauce au poivre traditionelle, sans extrait de viande, moutarde ou crème -- une sauce crémée et émulsionnée, comme un infusion de poivre. Pas piquant du tout. Bel accord avec la sole ferme et fade, l'un et l'autre se mettent en valeur avec le ravioli et le chou au milieu. Un plat qui m'a rappelé Eric Fréchon au Bristol. En moins brillant.

Une pièce de veau suivait, tendre et juteuse, probablement taillée dans le carré. Elle était servie avec des girolles et des blettes. Sa texture n'était pas dissemblable à celle de la truite. Pas besoin de couteau. Cuisson et assaisonnement étaient parfaits mais l'absence de toute coloration était un peu surprenante. Pas de grill, de rôtissage, de laquage, de panure, de sauce. Peut-être était-ce cuit sous vide? Inattendu en tous cas.
Ca m'a fait penser à la question de la régularité dans les restaurants. Des fois, pour être certains d'offrir un résultat parfait, les chefs peuvent décider de limiter leur prise de risque mais d'offrir un plat moins excitant. Il est moins bien que ce qu'il pourrait être, mais il n'est pas râté. Le contraire Gagnaire, Passard ou Meneau, où on est jamais sur de manger bien, parce qu'ils ne visent que le top du top et échouent des fois assez régulièrement. Je suis tout à fait certain que la régularité à Tantris n'est pas un problème. D'abord parce qu'on m'a servi un dîner de huit plats sans accrocs, ensuite parce que ces plats sont conçus de manière à pouvoir être envoyés assez rapidement et facilement. Il y faut de la compétence, pas du talent, et des bons produits, pas des produits exceptionnels. La régularité, en fin de compte, est essentielle pour les guides et les récompenses. Michelin la mentionne explicitement comme un des cinq critères pour les étoiles.



C'est même essentiel pour MacDonald’s et Burger King, un défi pour tous les restaurants. le fait qu'on sache à l'avance ce qu'on va manger est une raison évidente de leur succès. A l'inverse, tous les amateurs de hamburgers savent qu'il peut y avoir une grande différence entre deux restaurants de la même chaine. Même eux n'ont pas pu supprimer l'importance d'avoir un bon chef dans la cuisine.

Une autre raison pour laquelle je ne suis pas inquiet pour la régularité chez Tantris, c'est l'éternité que ça leur prend pour servir un repas. Le stress en cuisine ne peut pas être terrible. Peut-être que c'est un truc culturel, local. les feux rouges ici sont peut-être les plus longs du monde. Mais ça suggère franchement qu'ils ne commencent votre plat que quand vous avez fini le suivant. Nous sommes restés assis une bonne demi-heure avec notre Dom Perignon avant d'avoir quoique ce soit à mager. La totalité du repas a pris plus de quatre heures et demi. C'est trop même pour moi.


Quoiqu'il en soit, qualité et régularité étaient toujours de mise pour une plateau de fromages tout-à-fait bon. Une belle sélection de fromages essentiellement italiens et français, bien affinés, en fait meilleur que dans bien des restaurant français, même renommés. Même s'il n'y en avait pas d'exceptionnel comme un comté millésimé.


Les desserts étaient bons, et il est possible qu'à ce point, notre satiété nous ait empêché d'en profiter pleinement. Il y avait un soufflé à la banane, qui n'était pas un vrai soufflé puisqu'il ne dégonflait pas et qu'on le démoulait devant nous. Je soupçonne que c'était des blancs montés en neige, mélangé avec une purée de banane, et cuits au micro-onde. Une île flottante en somme, déguisée en soufflé. C'était très banane, sans ecxcès de sucre ou de crème. Ensuite, un "bavarois" de framboises, bien sûr, dans un coulis qui avait bien l'air d'avoir du Schnapps dedans, et du sucre translucide sur le dessus. A ce point, je n'étais plus très attentif et je suppose que vous non plus.


Ce repas coutait 472€ pour deux personnes, sur la base du menu dégustation à 150€. On nous a proposé deux verres d'un Sauvignon autrichien du pays du Danube, qui s'appelait "Don't cry", mais qu'on a renvoyé parce qu'il était ce que j'appelerais putassier si j'utilisais ce language. Disons qu'il était excessivement boisé et parfumé, avec un goût de réglisse dévatasteur.


N'était la lenteur du service, on ne pourrait pas reprocher grand'chose à tantris. Néanmoins, il est sans doute préféreable de prendre quelques plats à la carte pour profiter au mieux de Tantris.

2 commentaires:

Fabienne a dit…

Merci de nous faire partager tant de beauté culinaire ...

Solea a dit…

Je ne suis pas sûre d'être tout à fait à l'aise dans un tel restaurant. Cette décoration me fait un peu froid dans le dos, trop contemporain pour moi... Mais ce doit être une expérience unique! Je crois qu'on aime ou que l'on n'aime pas, en tout cas les avis ont l'air assez tranchés sur internet (voir signature).
Bonne continuation!