mardi 4 septembre 2007

Le Meurice: ors, marbres, cristal et chocolat

Photo Le Meurice

The English translation will be available shortly

Je disais récemment de Winkler que son style de luxe était plus Bocuse qu'Hôtel de Paris -- plus peintures et trompe-l'oeils que produits précieux (et d'ailleurs, il a des couverts en acier et des assiettes allemandes). Pas le Meurice. Ici, c'est du vrai marbre sur toute la hauteur des six mètres de mur, quatre immenses lustres en cristal, des mosaïques de couronnes de Laurier par terre, et tout et tout. Il y de l'or dans l'assiette aussi, par exemple sur le plat d'oeuf au caviar, très beau, sur le chocolat bien sûr, même sur le Saint-Honoré. Palace aussi dans la pratique du pain toasté "melba", comme une dentelle (photo), et aussi en petit cylindre dans lequel on met des feuilles de salade parfaitement triées et assaisonnée, qu'on met au milieu de votre assiette de fromage.

Le modèle du Louis XV s'impose aussi pour d'autres raisons: ce restaurant appartient à la catégorie, créée par Ducasse à Monaco, du Trois Etoiles de palace. Quelque chose centré autour d'un luxe inoui pour une clientèle de jet setters, un apprêt supplémentaire pour des palaces spectaculaires et démonstratifs, et aussi une façon de tirer avantage à la fois de l'intérêt croissant des riches du monde entier pour la gastronomie et du changement de clientèle des restaurants gastronomiques.

Une incise à ce sujet: ce changement de clientèle se montre remarquablement, en Bourgogne, dans la comparaison Loiseau/Meneau. Ce que (Mme) Loiseau a su faire, depuis des années, c'est comprendre qu'en effet elle ne pourrait continuer à faire de la très haute cuisine qu'avec une clientèle internationale -- c'est ce qui l'a amenée à faire de son hôtel un joyau, et à développer une politique commercial agressive et reposant sur des réseaux internationaux d'agents de voyage. Pendant ce temps, Meneau (qui, contrairement à des rumeur tenaces, EST TOUJOURS OUVERT) n'a pas compris que sa clientèle traditionnelle, les négociants en vin d'Avallon qui viennent trois heures pour déjeuner et parler affaires, disparaissait.

C'était vraiment une digression. Un autre parallèle entre le Meurice et le Louis XV, c'est le premier Maître d'hôtel, qui a occupé ce même poste à Monaco. Il s'appelle Morandini mais il n'est pas vulgaire, et il ressemble assez à Ryan Chappelle dans 24. En plus baraqué. Surtout, il dirige une équipe de salle d'un professionnalisme et d'une classe hallucinantes. Techniquement, ils sont discrets, efficaces, mais rapides, réactifs, prompt à établir un contact personnel approprié avec ceux qui le souhaitent. Ils sont aussi très passionnés pour leur maison et leur(s) chef(s). Mais c'est l'attention aux désirs et aux préférences du client, cette façon de les devancer avant qu'ils ne soient exprimés, que j'ai trouvé le plus abouti et remarquable, encore mieux que chez Taillevent (C'est pas Dieu possible?!).

Je suis un amateur de nourritures, et de nourritures intenses. Mon maître d'hôtel s'en est aperçu au fil de mon repas et de mes commentaires sur chaque plat, alors il m'a rajouté un dessert parce qu'il pensait que celui que j'avais commandé -- un Saint-Honoré-- ne me plairait pas beaucoup. Sans me le dire.

Et il avait raison. Ce "Saint-Honoré", post-moderne, maniéré, élégant j'imagine, était une farce, quelque chose qui, pour tout dire, appelait la baffe. Trois triangles de pâte feuilletée sont posées en quinconce sur un fond de caramel mou. Chacun de la taillle d'un cracker Belin. Sur chacun, une quenelle de crème chibouste, caramélisée sur une seule face (t'as vu? t'as vu?). Autour de ce trapèze isocèle (ah si, trois triangles isocèles en quinconce), il y a six chou à la crème de la taille d'une couille de petit chimpanzé, sauce au kirch dedans et or fin dessus, aux sommets d'un hexagone régulier. A moins que ce ne soit la figuration d'une molécule de Benzène? Inutile d'ajouter que cette reconstruction post-moderne n'apporte absolument rien au Saint-Honoré traditionnel, comme on le trouve chez Dalloyau, chez Bouché à Beaune. C'est pas plus léger, si ce n'est que la portion est petite, c'est pas plus intense, c'est pas plus subtil. Naze. Voyez Loiseau à Saulieu pour ce que peut vouloir dire une interprétation modernisée de ce grand classique.

Donc le petit gars avait raison. Il avait raison aussi pour le dessert au chocolat. C'est une ganache très amère posée sur un sablé praliné, posé sur une confiture de Kombu (vous savez, les algues qu'on achète à Naturalia ou au marché bio), posée sur un fond de meringue. Par dessus, il y a une boule de sorbet au yuzu, jaune, luisante et sphérique par dessus le triangle d'intense noir brillant du chocolat. Et puis une jeu de mikado blancs dessus, en fait de la meringue citronnée. En bouche, c'est génial: on sent d'abord la fraîcheur du sorbet d'agrume, magnifique. Juste après, on croque dans la maringue citronnée. Puis on sent le praliné dans son sablé, une transition idéale entre le fruit du yuzu et l'intensité tellurique... de l'algue. Un peu comme à la fin du Crépuscule des Dieux, quand tout cette incendie s'éteint, quand la poussière de la bataille retombe, il reste une puissante rétro-olfaction de cacao, délicieuse, phénoménale. Bravo. Merci.

Oh j'oubliais: pour pas que vous vous sentiez volés, il y a aussi des traits de gelée neutre à la poudre d'or qui entourent le biscuit. Youpi.

Une autre bonne chose dont il faut que je vous parle, c'était le homard, fini à la verveine et au beurre salé, servi avec des girolles cuites dans un beurre d'abricots avec une sauce au Noilly-Pratt. Le trio girolles (pour la mâche)-abricot (pour la saveur)-homard (pour la fermeté et l'iode) est un de ces grands accords, qui s'impose comme un classique, presque une nouvelle saveur de base. La sauce, onctueuse, intense, rappelle l'abricot et la verveine tout en jouant son rôle de lien et de support des saveurs. Pour la frime, le chef a ajouté des Noirmoutiers rôties. C'est bon mais ça ne marche pas avec le plat. Très bon comme ça, avec un peu de cette sauce. Mais gardez-les à l'écart du homarbricot.

Le ris de veau était très parfait (sans être au niveau de Rabaey ou de Loiseau néanmoins), avec un jus de ris de veau qui n'était pas le classique jus de veau, mais avait bien cette saveur caractéristique, quoique légère, du ris. Il était servi avec de la blette au lardons enveloppée dans une feuille de romaine, et un peu de crème de lard -- c'est à dire de la crème dans laquelle on a fait infuser du lard fumé.

Mais il y avait presque à chaque plat une truc qui n'allait pas: avec le ris de veau, c'était les girolles qui n'étaient pas bonnes (celles du homard n'étaient sûrement pas meilleures mais il y en avait beaucoup moins et ça ne se sentait pas, prises entre la fermeté du homard et la force de l'abricot). Avec le homard, les pommes de terre en trop. Dans un amuse bouche de radis (mousse, gelée et tranches), les tranches n'étaient pas fraîchement coupées. Avec l'oeuf, c'était l'usage d'une huile d'olive trop amère qui gachait le plat (mais de ce fait, ce plat était offert par la maison)...

Cet oeuf justement -- ne parlons pas de son goût, mais il était somptueux à voir. C'était juste le jaune, cuit à 67°, pris entre deux petits disques de toasts melba, trois couches (à peu près) de Caviar Golden Osciètre sur le dessus, et des petits dés de gelée de pomme verte (qui apportent l'acidité qu'on a d'habitude avec le citron), et des petits tronçons de ciboulette dessus (et l'or, donc). Il y a quatre ou cinq petit dés au-dessus du caviar, et un nuage de dés autour. Mon plat était raté, mais même réussi, je ne suis pas sûr qu'il aurait été meilleur qu'un oeuf à la coque avec du caviar dessus. Mais c'était beaucoup plus élégant, high-tech, moderne. Très palace d'aujourd'hui, quoi.

Le Meurice, c'est un peu comme Ducasse, en indéniablement plus rigolo, un peu plus gourmand, nettement plus spirituel. Il n'y a pas de doute qu'Alléno est un grand talent, qu'il sait tout faire. Pas de doute non plus que le contrôle qualité, sur les produits comme sur les plats, n'est pas au niveau des meilleurs. L'esthétique culinaire sacrifie un peu aux modes (comme l'incontournable Beurre Bordier -- c'est vrai qu'on se lasse), mais pas trop. Il est aussi frappant que, dans plusieurs préparations comme ces amuses-bouches en photo (olive à gauche, tomate à droite), l'art d'Alléno semble reposer parfois sur une atténuation des saveurs. C'est peut-être cela qu'on appelle l'élégance. Comment le saurais-je?

Mais c'est l'adaptation au client, la capacité d'identifier et de satisfaire ses envies et ses préférences qui me semble être la marque distinctive du Meurice aujourd'hui, qui en fait une très grande maison. Je suis bien persuadé que, si j'y retournais, j'y ferais un bien meilleur repas (non pas que celui-là fut mauvais) parce qu'ils savent ce que j'aime maintenant. Dans l'ensemble donc, une prestation très exclusive et luxueuse, complètement centrée sur la clientèle et les ambitions du Meurice. Pour milliardaires portés sur l'ostentation.

A tous égards, Le Meurice est l'antithèse du Bristol: brillant contre discret, le chateau de Versailles contre une espèce de résidence secondaire, luxueuse mais quotidienne, et en cuisine un style brillant et sophistiqué contre une orientation résolument gourmande. C'est d'ailleurs ce que dit le staff en salle: ils ont remarqué que ceux qui aiment la cuisine de M. Fréchon aiment moins celle de M. Alléno, et vice versa. Six mètres sous plafond ou gratin de pâtes, il faut choisir.

A y penser, voilà peut-être une première pierre posée pour l'édification de la typologie du goût qui permettra enfin de conseiller à chacun un restaurant qui lui plaira vraiment.

Déjeuner du 3 septembre 2007

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ami Julot bonjour :o), superbe compte-rendu, d'une précision d'orfèvre... que du bonheur !

Pour y avoir dîner l'an dernier (menu Dégustation), je dois reconnaitre y avoir passé un agréable moment dans un cadre imposant par sa froideur au début, mais vite réchauffé par la qualité du service. J'ai trouvé l'assiette à la hauteur des 2 étoiles qu'affichait le Meurice l'an dernier, grande technicité, maîtrise des cuissons, produits de très grande qualité. A moins que la cuisine d'Alléno n'ait significativement changé - mais cela ne me semble pas vraiment le cas à la lecture de ce CR, l'obtention d'une 3ème étoile m'a depuis perturbé, surtout quand un Piège au Crillon reste à 2* alors que j'y ai nettement mieux mangé (qui plus est pour un déjeuner), la cuisine de Piège apporte ce brin de magie dans l'assiette, vous transporte hors du temps.

Avec un peu de recul, je trouve que le Meurice fait partie des tables où j'ai pris un certain plaisir à manger tout en n'ayant pour autant aucune envie d'y retourner.

Piège par contre, j'y retournerais volontiers... :o)

Laurent

Julot-les-pinceaux a dit…

Merci Laurent. Je ne suis pas encore allé chez Piège au Crillon, mais sur la base de mon expérience au Plaza, je suis surpris qu'il puisse avoir un brin de magie. Il faut vraiment essayer ce menu déjeuner nu de ces jours.

Nous partageons une même impression du Meurice, clairement. J'enrage que mon appareil photo m'ait trahi juste après la première photo, la seule, parce qu'il y avait des très belles choses que j'aurai voulu montrer, comme cet oeuf, le chocolat ou la salade enroulée dans le toast.

Je me rattraperai sur le prochain post, c'est promis (j'ai beaucoup de photos de Senderens)